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The killer inside me

Littérature noire

Cripple Creek : à deux doigts du bonheur

"Hey I got a gal, At the head of the creek, An' I'm goin' up t'see her, 'bout three times a week."
Encore une fois James Sallis puise son insiration dans le folklore du Sud des Etats-Unis avec ce Cripple Creek (2005) qui n'est ni plus ni moins qu'un des standards du bluegrass pour violon et banjo. L'auteur souligne donc à quel point il est issu de cette tradition populaire, sculpté par ses chansons, ses histoires d'amours compliqués. D'ailleurs dans cette deuxième aventure du shérif adjoint John Turner, le coeur n'est une nouvelle fois pas épargné, la puissance des sentiments semblant un mystère pour ce héros solitaire et bienveillant.
Dans sa petite ville du Tennessee, à deux pas de Memphis, John Turner arrive au commissariat et découvre la secrétaire et un adjoint au sol, battus, abandonnés dans leur sang. Un détenu, interpellé au volant de sa voiture, avec 200 000 dollars en liquide dans une valise, s'est fait la belle. Les premiers éléments laissent penser que ce gars-là est de la famille d'un caïd de la grande ville. Turner va retourner à Memphis, décor de sa jeunesse et, dans le même temps, va accueillir chez lui une certaine JT Burke (clin d'oeil à James Lee Burke ?)... sa fille. A l'inverse, Val, compagne depuis plusieurs mois, et géniale joueuse de banjo, décide de prendre la route avec un guitariste, pour écumer les festivals de musique traditionnelle.
Bien sûr que Cripple Creek est une petite merveille, de ces polars très singuliers qui sont la marque de fabrique de James Sallis. A la violence minimum s'accorde des micro histoires qui content les mille et un tourments de la vie. Celle du tueur d'enfant Lou Winter, condamné à mort, est touchante au possible. Comme celle de l'avocat qui le défendait victime d'une agression, "ouvrant le chemin de sa mémoire disparue aux nids de poule". Un moment, entourée de sa fille, de Val mais aussi d'une femelle opossum et de sa portée, John Turner pense toucher le bonheur. Mais rien ne dure. Et le bonheur c'est peut-être de ne rien posséder comme cette communauté de marginaux qui vit dans les bois, retirée de la société et se satisfaisant des seules richesses que donnent la terre.
Maître du temps comme à son habitude, Sallis contrôle sa narration et sa chronologie, jouant sur les périodes, retournant quelques années en arrière, avançant de plusieurs jours, avant de revenir sur ses pas.
Très poétique, doucement philosophique, Cripple Creek est d'une beauté réconfortante, jamais niaise. Turner s'y dévoile comme un homme, avec ses colères et ses peines ("je savais qu'elle m'aimait, et à l'idée de la perdre, je sentais des pitons s'enfoncer dans mon coeur. Les grimpeurs suivaient.") Quand certains auteurs se pâment devant une vallée au soleil couchant,, le créateur de Lew Griffin se penche sur les clairs obscurs de l'existence.
On ne peut rattacher James Sallis à un autre auteur du roman noir tant sa prose est unique, touchante. En seulement 200 pages, il parvient à dire les failles, la mélancolie, l'injustice, le caractère trempé de ces femmes, la musique bien sûr, et tout se tient avec merveille, coule sans accroc.

Cripple Creek (trad. Stéphanie Estournet et Sean Sego), ed. Série Noire, 206 pages, 17 euros
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