Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
The killer inside me

Littérature noire

Aucune bête aussi féroce : l'immense roman d'Edward Bunker

Chef d'oeuvre ou pas ? Ellroy pense que oui et parle, dans la postface, d'un "chef d'oeuvre noir resté négligé". Aucune bête aussi féroce, même quarante-sept ans après sa sortie aux US garde une violence physique et sociale incomparable. C'est de la pure énergie, de la colère, de la révolte et une authentique histoire de voyous, sans romantisme, sans états d'âmes, c'est même parfois dégueulasse, sans scrupule. Brutal.
Evidemment, ce roman d'Edward Bunker est en partie, en large partie, autobiographique. Max Dembo, le personnage principal, a la trentaine au début des années 70 (Bunker est née en 33) et sort de Folsom, après huit années de taule pour une histoire de chèques falsifiés. OK, avant ça, il avait déjà fait quelques conneries. Mais cette fois-ci, il est bien décidé à retrouver les chemins de la légalité. Sauf qu'i l tombe sur un agent de probation, chargé de surveiller sa libération condionnelle, qui est un authentique crétin. Max pête un câble et replonge, les deux pieds en avant, dans le crime. A Los Angeles, il se met en cheville avec de vieux amis et ça commence par un braquage de banque, avant le projet d'une bijouterie de luxe où dorment pas loins de 500 000 dollars.
Le rythme d'Aucune bête aussi féroce a quelque chose d'hallucinant. Carburant à la bénzédrine, Max est toujours en éveil, d'attaque pour prendre sa voiture, aller voir un pote, chercher des armes, retrouver une fille, repérer des lieux. Rien n'est artificiel, ça coule de source, c'est vivant, c'est même un rythme de survivant au bout d'un moment. Une bonne moitié du roman tient sur une tension énorme, le casse, l'après-casse sont parfois suffocants, avec une paranoia qui s'installe très vite.
Côté style, Bunker fait dans le direct. Une écriture sans esbrouffe, mais on en n'attend pas moins d'un ex-taulard. Toutefois, il n'en rajoute pas, n'appuie pas. La relation, par exemple, de Max avec Allison est une leçon de retenue, de simplicité et de vérité. Et toutes les interactions de Max, avec des amis ou pas, sont marquées du sceau de la franchise et d'une certaine animalité. Max sent les gens, les renifle, notamment les femmes d'amis. Et dans les scènes d'action, l'auteur écrit avec une aisance désarmante et une précision incroyable. L'ultime séquence avec Willy est, là encore, mémorable. Et puis Bunker trace aussi les futures grandes lignes de la politique des prisons : racisme d'abord et difficultés pour se réinsérer. Le roman a été écrit en 73 et où est l'amélioration aujourd'hui dans ces domaines ?
Aucune bête aussi féroce est un sacré bijou et a un côté punk dans le sens DIY, do it yourself. Edward Bunker s'est élevé seul au rang d'écrivain, de familles d'accueil en foyers de redressement, il est tout sauf un produit de la bourgeoisie californienne. C'est encore ce côté magique et fascinant de la littérature américaine, avec des auteurs qui ne sont surtout pas chiants comme des agrégés, pas pompeux comme des académiciens et ça donne des romans comme ça. Entre le témoignage et le roman d'aventures, quelque chose de très noir et très réaliste. Un classique.

Aucune bête aussi féroce (No beast so fierce, trad. Freddy Michalski), ed. Rivages, 446 pages, 9,50 euros.
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article