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The killer inside me

Littérature noire

Ce qu'il faut de nuit : une pudeur virile et bouleversante

Comment s'interroger sur l'éducation que l'on a donné à son fils ? Comment se remettre en cause quand on est certain d'avoir tout bien fait dans ce domaine ? Quel comportement avoir avec un enfant qui tourne, disons, mal ? L'affection se dilue-t-elle dans la honte ?
On est en 2020 en Lorraine et « le père » observe avec amour son aîné pendant un match de foot. Fus, pour Fusball, alors qu'il s'appelle Frédéric, est, à 20 ans, un défenseur solide, courageux, qui fait autant la fierté du paternel que de l'équipe. Et même du voisin. Le second enfant, Gillou, plus jeune d'une poignée d'années, est plus rond mais pas moins aimé. Le père lui a d'ailleurs présenté un jeune de cette section du parti socialiste qu'il fréquente depuis toujours, Jérémy, étudiant de Sciences Po, à Paris. Si Gillou pouvait suivre ce chemin. Ouvrier de la SNCF, manutentionnaire sur les catainers, le père élève seul ses deux garçons après le décès de la « moman », suite à un cancer qui l'aura rongé pendant 36 mois. La vie n'est pas simple mais elle se ponctue de bonheurs, eux, simples : un match du FC Metz, des vacances dans un camping proche, des éclats de rires, les JO à la télé... et puis un jour, Fus revient avec un bandana serti d'une croix celtique. Le père connaît le symbole, sait ce qu'il représente. C'est à l'inverse de toutes les valeurs familiales.
Premier roman d'une rare émotion, d'une pudeur virile, jamais pathos, Ce qu'il faut de nuit est une merveille. Il ne s'agit pas ici de refaire le coup de cette France ouvrière, ou de cette France de la Province : Laurent Petitmangin, fils de cheminots et salarié d'Air France, écrit sur ce qu'il connaît sans jamais donner l'impression de jouer les anthropologues. Et plus que le tissu social, même s'il est prépondérant, son sujet est la relation abîmée d'un père avec son fils aîné. Ce n'est pas une histoire au long cours, pas l'histoire d'une vie, mais bien quelques dizaines de mois, quand la vie bascule. Et le roman tient d'ailleurs son pari en 188 pages déchirantes, belles et fortes.
Sur cette trame du fils qui, en quelque sorte, trahit le père, scénario tragique au possible, quasi antique, l'auteur va glisser des scènes de la vie irrésistibles, "Gillou ne se contentait pas de lui passer le plat. Il se levait et allait servir son frère. Il lui dressait une belle assiette avec tout ce qu'il faut dedans comme l'aurait fait un garçon au restaurant, puis allait la chauffer au micro-ondes. Il avait toujours fait cela, Gillou. ça ne semblait pas lui poser le moindre problème de servir son frère, au contraire. Depuis toujours, j'ai le souvenir de Gillou rayonnant dès qu'il voyait rentrer so, grand frère. Un miracle quotidien." Ce qu'il faut de nuit transpire l'amour de cette famille réduite aux hommes, de l'amour entre père et fils, entre frères. Et sans faire une étude pyschologique de ce trio, Laurent Petitmangin sonde avec une belle délicatesse les affres de ce père littéralement naufragé.
Enfin, il y a la langue, la voix de cet auteur. Sans apprêt, il enfourche le choix d'un verbe populaire, jamais vulgaire attention, le verbe de ce milieu qui l'a vu naître, où l'on respecte autant la grammaire que les luttes sociales. "Elle avait inscrit Fus au latin, parce que c'étaient les meilleurs qui faisaient latin, ça servait à bien comprendre la grammaire, c'était de l'organisation, comme les mathématiques... Fus n'était pas un toxico, ce n'était pas une saloperie qui terrorisait le quartier, et ça leur suffisait. Ils savaient désormais qu'il était différent."
Bien sûr, il y a une photographie politique. Celle de cette section PS où il y a de moins en moins de monde, essentiellement des quinquagénaires et bien plus, des qui invitent les communistes à une rencontre et qui se plaignent du nombre de kebabs en ville... c'est dit finement mais, comme dans les romans de Nicolas Mathieu, c'est le constat d'un monde perdu, d'une société plus violente, plus injuste. Et plus dure.

Ce qu'il faut de nuit, ed. La manufacture de livres, 184 pages, 16, 90 euros
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