Littérature noire
31 Août 2020
"Ils ont trouvé Martino Righi.
Raide mort, chez lui, assis dans un fauteuil. Un trou calibre .22 au milieu du front. ça devient un classique.
Et un doigt dans le cul.
Sympa, non ?"
Alessandro Robecchi est éditorialiste et signe avec Ceci n'est pas une chanson d'amour, son premier roman. On espère que ce ne sera pas le dernier. Drôle, méchant, cynique, il y a là tout ce qu'il faut pour ravir, par exemple, les amateurs de Jacky Schwartzmann ou Carl Hiaasen. Parce que si on rit plus d'une fois, le fond reste noir, très noir.
Scénariste pour une émission de téléréalité à succès, Carlo Monterossi est un Milanais aisé qui s'interroge tout de même sur le bien fondé de son engagement dans la télévision, "la grande usine à merde". Un soir, un livreur sonne chez lui. Pour lui amener sans doute un énième roman. L'homme qui se présente a finalement un flingue dans une main. Un bocal dans l'autre. Passée la surprise, Monterossi lui balance son solide verre de whisky (Oban, 14 ans d'âge) à la figure et s'en sort comme ça. Le bocal est resté sous un meuble : il contient le doigt d'un type tué quelques jours plus tôt. Pendant ce temps, deux Gitans sont à la recherche d'un trio qui a tenté de mettre le feu à un camp de leur communauté. De la même manière, deux tueurs à gage sont justement engagés pour "nettoyer" les bêtises criminelles de ce trio, visiblement d'extrême droite, qui dans l'incendie du camp de gitans a tout de même tué un carabinier et un enfant : il s'agissait de faire dégager les gens du voyage pour construire un ensemble immobilier.
Robecchi montre une certaine solidité dans la construction de son polar, axant l'essentiel de son histoire autour de Carlo Monterossi et de son amie Nadia (une sorte de Lisbeth Salander... plus sympathique). Et si le roman tourne autour de ce duo c'est bien parce que l'homme de télé est immensément caustique, posant un regard précis, imagé sur la vie milanaise, "je vous le dis sincèrement, si vous voulez quelques kilos de nostalgie, venez ici. C'est sans doute à cause des vitres crades et de l'odeur de café arrosé, ou peut-être pour les visages qui semblent sortis des Trente Glorieuses... après qu'ils ont découvert qu'elles n'étaient pas si glorieuses. Dites que c'est moi qui vous envoie." Ou bien "on dit qu'ici, entre Milano Centrale, le Viale Brianza et la Via Superga, une fois, en 1924, après l'assassinat de Matteotti, un homme a trouvé une place pour se garer." Des bons mots, une vision grise de Milan, bref un style qui permet d'aérer la noirceur des faits, ce personnage passant aussi pour un hurluberlu au milieu du monde criminel.
Mais heureusement, le roman garde un fond et outre cette critique d'une télévision devenue poubelle (les Italiens sont aussi forts que les Français pour ça), l'auteur raconte comment une frange de la population frémit toujours d'émotions sordides pour les antiquités du IIIe Reich. Des petites frappes et des grands bourgeois plus que jamais xénophobes et fiers de l'être, les premiers étant évidemment les larbins des seconds pour les basses oeuvres. Pas révolutionnaire sans doute mais cela fonctionne parfaitement et Robecchi ne s'empêtre pas dans les leçons de morale pour une fin très réussie et sans concession.
L'Italie montre plus que jamais sa très bonne santé dans le giallo, avec un roman surprenant, rafraîchissant et assez inattendu.
Ceci n'est pas une chanson d'amour (Questa non è une canzone d'amore, trad. Paolo Bellomo et Agathe Lauriot dit Prévost), ed. L'aube noire, 416 pages, 21, 90 euros.