28 Septembre 2020
Attention, merveille ! Le premier roman graphique de Sonatine, L'accident de chasse, a tout pour séduire les amateurs de romans noirs, il y est question du Little Italy de Chicago dans les années 30, de braquages malheureux, de prisons, de rédemption... pas original ? Sauf qu'il s'agit de l'histoire authentique de Matt Rizzo, racontée par son fils, au scénariste David L. Carlson. De quoi faire un roman. Et pourquoi pas un roman graphique avec le talent époustouflant de Landis Blair, amateur d'un noir et blanc à la plume, un travail hallucinant de précision, d'ambiance (les photos en bas de chroniques ne rendent hélas pas hommage à la qualité de l'oeuvre... mais on fait ce qu'on peut).
Charlie Rizzo a grandi loin de son père, Matt. Il le rejoint à Chicago vers les 10 ans, après le décès de sa mère. Et il veut d'abord savoir comment son père est devenu aveugle. Celui-ci lui raconte cet après-midi, quand avec deux amis, il a emprunté le fusil de son propre père pour partir à la chasse aux cerfs. Mal placé, Matt a pris les plombs en plein visage... le père et le fils trouvent leurs repères au fil des années, une complicité se tisse avec ce papa qui transmet son goût des grands poètes et dépassement de soi. Mais c'est Chicago et à l'adolescence, Charlie va fréquenter quelques petits voyous. Et se faire prendre à la sortie d'un cambriolage bidon. Matt joue franc jeu pour le sortir de là et lui avoue qu'il a perdu la vue à l'issue d'un braquage tragique. Qui l'a envoyé moisir en prison. Aveugle et détenu, il ne pense qu'à en finir. Jusqu'à ce que son co-détenu, auteur du crime du siècle et condamné à perpétuité, l'ouvre à la poésie de Dante et de sa fameuse Divine Comédie.
Les années de prison de Matt Rizzo, découvrant la vie de la tale en même temps que sa condition d'aveugle, sont tout le sel et l'essentiel du récit. Le parallèle entre les cercles de l'enfer et cette vie de prisonniers est bien sûr évident, ça colle parfaitement aux sentiments non seulement de Rizzo mais aussi des autres condamnés et de ce Leopold, son co-détenu, reconnu coupable de l'assassinat atroce d'un petit garçon et qui n'a eu la vie sauve qu'à la position sociale de sa famille. Les thèmes se croisent, s'enchevêtrent dans L'accident de chasse, il est question d'éducation, d'espoir, de littérature bien sûr, de philosophie, de culpabilité... le tout mis en illustration par ce génie de Landis Blair. Il y a là des pages, sinon des doubles pages, sur lesquelles le lecteur peut s'arrêter de longues minutes à la recherche des moindres détails, notamment sur un dessin de l'enfer qui doit autant à Dante qu'à Jérôme Bosch. Et puis, sans cesse, ces ombres noires qui viennent hanter Leopold ou Matt Rizzo.
Pour 29 euros, voilà un livre qui mixe merveilleusement les genres, qui fait tomber avec talent les barrières. Parce qu'il y a de la qualité littéraire, il y a de l'écriture tout autant que du dessin. Une autre très bonne surprise de 2020... il y en a quand même eu !
L'accident de chasse (trad. The hunting accident, trad. Julie Sibony), ed. Sonatine, 460 pages, 29 euros