8 Septembre 2020
"Si vous voulez m'émouvoir, donnez-moi des bandits et des baleines blanches. Ce monde est un monde de têtes coupées, et il n'y a pas beaucoup de place pour les balades dans des putains de champs de jonquille."
Benjamin Whitmer revient et il est toujours autant irrigué par la violence de son pays. Les dynamiteurs bastonnent sec, envoient des coups de matraque, des coups de boule, des tirs de Colt Thunderer. On a des corps avec des hameçons dans le visage, des têtes fendues, des bonhommes lynchés, des femmes brûlées... Le roman met bien 100 pages pour démarrer sa folie, sa schizophrénie. C'est qu'il faut un certain temps pour installer ce décor fracassé de fin du monde. Denver au 19e siècle finissant, ce sont des mines qui viennent de fermer, des Américains par grappes qui se retrouvent sans boulot, dans la boue de la rue, à boire, à voler et sur cette misère fleurissent des bordels, des cercles de jeux. Sam, ado, vit avec Cora et une toute une bande d'orphelins dans une usine désaffectée qu'il protège contre toute incursion des Crânes de noeud, les adultes. Ils ont organisé leur société loin du monde mais ont besoin de vivres, de médicaments parfois. Alors quand Goodnight, géant défiguré par une explosion, communiquant à l'aide d'un cahier, les rejoint, c'est Cole, patron de saloon, qui décide d'embaucher le surhomme mais aussi Sam qui est un des rares à savoir lire. Dans ce Sodome et Gomorre du Colorado, les autorités, et leurs édiles si peu vertueuses, s'appuient sur l'agence Pinkerton pour mettre un peu d'hygiène dans la cité. Sauf que Cole n'est pas prêt de lâcher l'affaire. Et c'est l'escalade dans cette fameuse violence. Entre les gamins livrés à eux-même, que le pasteur Tom veut absolument sauver, un Goodnight véritable Golem, Cole, incarnation de ce far west sanguinaire, et Sam, corrompu par sa fréquentation des hommes, Benjamin Whitmer écrit un roman à la croisée des grands textes américains, à la fois sur la fin d'une époque sauvage, sur l'hypocrisie perpétuelle de son pays, sa violence intrinsèque et ses enfants sacrifiés. D'un côté la pureté d'une Cora combattive, de l'autre, les vices de l'homme adulte. Manichéen, avec quelques nuances de gris.
Si l'auteur s'est éloigné, en partie seulement, des thèmes de son précédent roman Evasion, il retrouve le tumulte de Cry Father, fait d'une société à l'écart, traversée par des éclairs de violences et d'abus, de sang et de sueur. Le trio Goodnight-Cole-Sam, c'est de l'aventure 24 carats, de l'aventure risquée, tendue, un peu sale parfois, "nous entrâmes dans le premier bordel que nous trouvâmes et prîmes une chambre. Elle empestait de l'odeur des derniers qui y avaient baisé, puait l'urine et la sueur." Et alors que le début du roman semblait si empêtré, si tortueux, Whitmer réussi à faire décoller ses personnages, son histoire, en quasiment une page, abandonnant la quiétude du pasteur Tom pour ce Cole, buveur et bagarreur, paquet de testostérone pur. Plus que jamais, l'écrivain du Colorado balance une vision furieuse des Etats-Unis, une fiction qui doit sans doute beaucoup, là encore, à la documentation. Comme une façon d'écrire l'Histoire sans filtres. Et quel final ! Puissant.
Les dynamiteurs (The dynamiters, trad. Jacques Mailhos), 388 pages, 24 euros