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The killer inside me

Littérature noire

M, l'enfant du siècle : la bombe Mussolini

Envoûtant. Romanesque. Noir. M, l'enfant du siècle, malgré - on avertit de suite -, ses 848 pages est un livre d'une rare densité, d'une incroyable ferveur. On comprend sans problème, à sa lecture, les 280 000 exemplaires écoulés en Italie et son succès en France.
Il s'agit donc des six premières années de Benito Mussolini dans sa carrière fasciste, soit 1919-1925 (l'auteur est parti pour une tétralogie !). Le fils de forgeron, viré du parti socialiste pour incompatibilité d'humeur, vétéran de la Grande Guerre, fonde les Faisceaux de combat, chez lui, à Milan, où il dirige aussi la feuille de chou - très lue - Il popolo d'Italia. Son idée de départ est simple, voire simpliste : le pays fait partie du camp des vainqueurs mais se fait marcher dessus. D'abord par ses anciens amis alliés qui lui refusent la propriété sur la région de Fiume (aujourd'hui croate) et puis, en Italie même, les Socialistes, hostiles à la guerre, veulent rattacher la péninsule à la Russie révolutionnaire. En 1919, Mussolini n'est écouté que par une centaine d'exaltés. Exaltés, mais déjà violents. Les arditi, ces soldats éclaireurs trompe-la-mort, experts du couteau, rejoignent les faisceaux, avides de bastons, de bagarres... et de reconnaissance. Dans le même temps, les socialistes, avec les syndictas, en pleine bourre électorale, entament des grèves générales pour obtenir des droits dans la riche industrie naissante ainsi que dans les campagnes. L'Etat, dévasté, divisé, a du mal à faire face à cette animation sociale. "C'est ainsi, inutile de se voiler la face, cet après-guerre est une tempête, c'est une mer aux bruyants remous : on n'y trouve qu'élans, marasme, convulsions, gouvernements faibles, prêches démagogiques..."  Les fascistes proposent leurs services aux grands patrons. Et là, ça commence à cogner méchamment. Les mains libres, les fascistes enlèvent, séquestrent et abattent agitateurs et syndicalistes. L'Italie et surtout le nord où les idées socialistes ont fleuri est la proie de scènes dantesques, "les cannibales en chemise noire des collines pisanes ont éliminé à coups de revolvers, Carlo Cammeo, activiste du syndicat des instituteurs, sous les yeux des écolières..." (avril 1921)
Pour autant, politiquement, il faut se démarquer de cette violence brute. Et le Duce pratique alors ce qu'il appelle la double pensée, le double discours. Matois, charmeur à Rome lorsqu'il s'agit, avec son nouveau Parti National Fasciste, de séduire le Roi ou d'eventuels partenaires politiques, arrogant et vindicatif quand il faut passer en force. De marginal, le PNF va, en quelques moins, trois ans à peu près, devenir une puissance crainte et donc incontournable. Tout cela par la menace mais aussi par la volonté de nombre d'Italiens de confier les rênes du pays à un "homme nouveau".
Antonio Scurati, l'auteur, écrit là un roman historique qui fera sans doute date. Parce que la montée du fascisme a rarement été racontée avec autant de talent, Scurati se payant le luxe de créer des ambiances, de livrer des détails et de mettre en scène plusieurs personnages de cette galaxie politique. Mussolini certes. Mais aussi, un homme à l'énorme potentiel dramatique, le député socialiste Giacomo Matteoti, résistant inflexible au fascisme. Le lecteur suit aussi le poète-soldat, un brin illuminé mais adoré, Gabriel d'Annunzio. Amerigo Dumini, arditi, orphelin de la guerre, en quête de sang. Et aussi Leandro Arpinati, à la tête des Faisceaux de Bologne, pas non plus un grand amateur de la diplomatie...
Pour caler son roman historique dans l'histoire, Scurati intercale des documents, télégrammes, morceaux d'articles, courriers personnels, extraits de discours... de quoi vraiment replonger le lecteur dans la dimension, réelle, lui sortir le nez de ce qu'il pourrait prendre pour une pure fiction.
Et, bien sûr, la lecteur de M, l'enfant du siècle, apporte son lot de réflexions, particulièrement sur la politique et ses errements. Un pouvoir à prendre, des hommes politiques prêts à tout pour conserver un siège de député, jusqu'à renier leurs engagements, des élus qui baissent la tête devant un mouvement ultra-violent, des patrons aussi qui n'hésitent pas à s'allier avec le fascisme, des artistes aussi (Pirandello, futur Nobel...).
M est le fruit d'un travail énorme, au résultat éblouissant, dont on sort avec mille images et mille questions. Un roman qui, ce n'est pas la moindre de ses vertus, permet aussi de mettre en perspective la démocratie au XXIe siècle. 100 ans après l'avènement du Duce.

M, l'enfant du siècle (M, il figlio del secolo, trad. Nathalie Bauer), ed. Les Arènes, 848 pages, 24,90 euros
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