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The killer inside me

Littérature noire

Un petit homme de dos : la tendresse, bordel

"Et ma mère aperçevait son type en train de taper le carton, la cigarette vissée au coin de sa bouche et ça serait comme ça toute sa vie, des dizaines de milliers de clopes. Elle aimait le surprendre, nouer ses bras autour de son cou, embrasser le lobe de son oreille, sentir des frissons de plaisir courir sur le corps de son homme, mon amour tu es resté bien longtemps loin de moi. Il lui disait : que fais-tu là chérie au milieu de tous ces brigands ?"
Un petit homme de dos, de Richard Morgiève (paru chez Ramsay en 1988 puis réédité par Joëlle Losfeld en 1995) est une indescriptible histoire d'amours. D'un petit garçon pour son père, pour sa mère, sa grand-mère, sa tante, l'amour d'un mari pour sa femme, de cette femme pour son mari, pour ses enfants. C'est de l'amour mais surtout pas de la guimauve. Embarquer dans l'histoire de la famille de Stéphane Eugerwits, ce père, ce petit homme de dos, c'est parcourir les chemins de la France, de la Seconde guerre mondiale jusqu'aux années 70. De l'Ardèche à Paris, Lyon. Du marché noir, aux fabriques de bonbons, jusqu'au "bouchon" lyonnais.
Stéphane Eugerwitz percute la vie d'Andrée, fille de commerçant ardéchois. Il est un prince polonais de l'embrouille et de la débrouille et la séduit par son bagoût. Elle le charme par sa beauté et sa franchise : "est-ce que vous me trouvez petit ?, demande-t-il tout à trac. - Vous n'êtes pas grand, répondit-elle aussi sincère que décontenancée."
Avec sa bande de corsaires polaks, il va disparaître des jours et des nuits, revenir, faire la bamboula, offrir du champagne, des chapeaux, épouser Andrée, lui faire une première fille, une deuxième et puis ce garçon, Mietta, celui qui raconte justement cette saga familiale.
Le procédé de Rcihard Morgiève n'est pas innocent : il y a tellement de lui en Mietta, tellement de hurlements de cet amour qu'il n'a pas eu, tellement de mots pour dire à ces parents disparus qu'il les aime ("je sens que je suis en train de devenir l'écrivain que je rêvais d'être, et je crois que c'est un merveilleux cadeau que je me fais et que je leur fais"). Mais attention, si Mietta voit tout, entend tout, son oeil n'est pas mièvre, il saisit la folie de son père, la tristesse de sa mère, le chagrin de sa tante. Il les voit, les digère avec son âme de gamin. Des bêtises, il en fait : crier quand il ne faut pas, vider des verres de vin au restaurant, sécher l'école. Mais c'est un enfant rempli d'admiration pour ses deux parents. Certaines scènes en deviennent déchirantes, d'une rare beauté, un témoignage peu fréquent sur la tendresse d'un garçon d'à peine dix ans pour sa mère, avec des gestes d'une incroyable poésie, des réflexions jamais sentimentales mais brutes, directes. Le père, il le voit comme un héros, flamboyant, puis blessé, riche en leçons de vie, riche en affection aussi, passionné puis déprimé. Un père aux milles facettes. Petit, seulement devant une toise.
Un petit homme de dos, avec sa narration dépourvue de chapitres, ses dialogues insérés dans le texte, ses personnages s'exprimant à l'emporte-pièce, est un vrai grand-huit émotionnel, un roman qui tient chaud, de ceux que l'on conseille forcément à un ami qui ne croie plus en l'humanité en lui disant "regarde ce gamin la vie qu'il a eu, regarde cet auteur la vie qu'il a eu..." Richard Morgiève, autodidacte, parvient à écrire avec une sincérité et une élégance qui forcent le respect et, plus de trente ans après sa sortie, ce texte continue de faire des adeptes.

Un petit homme de dos, ed. Joëlle Losfeld, 249 pages, 10 euros
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