Littérature noire
15 Octobre 2020
David Valenzuela n'est pas handicapé. Mais il est un peu con. Enfin il a surtout l'air un peu con, toujours la bouche ouverte, ses dents en avant. Dans son village de Chacala, au sud du Sinaloa, il est pris pour cible par les plus forts, évidemment. Ce soir de bal, il ne comprend d'ailleurs pas que la jolie Carlota, promise à un des frères Castro, d'un cartel local, l'interpelle pour danser avec lui. Tout s'embrouille dans la tête de David et, à 17 ans, oui, on accepte malgré tout. Et de pas volant, en collé-serré, une érection vient. Pas de bol, le futur mari débarque et devient fou en remarquant le désir de David. Il commence à le rouer de coups devant tout le village. Pour se défendre et parce qu'il est un sacré tireur, David saisit une pierre et la jette à la tête du colérique. Séché. Raide. Panique : le jeune limite crétin doit fuir. Il se réfugie quelques centaines de kilomètres plus loin chez son oncle. Dont le grand fils a quitté le domicile pour rejoindre la guerilla. David, lui, est enrôlé dans l'équipe de base ball du tonton et part faire un match à Los Angeles (tout ça c'était bien avant Trump, quand les échanges étaient normaux !). Et là, son lancer fait des étincelles. Un geste incroyable. Mais normal pour quelqu'un capable de tuer un homme d'une pierre. Bref, un recruteur lui propose un contrat. David est aux anges, si ce n'était cette voix, façon Jiminy Cricket, qui résonne dans sa tête. Il sort se promener, tombe sur une fille qui l'emmène dans sa chambre et s'offre à lui. Pour le puceau mexicain, c'est une révélation. Elle lui dit qu'elle s'appelle Janis Joplin. Il ne la connait pas. Pour l'instant.
Les cinquante première pages de L'amant de Janis Joplin sont un modèle d'introduction, à la fois folles, très drôles, tendues aussi. Un condensé d'actions entre sexe et mort, eros et thanatos, encore et encore. Le lecteur a vite compris qu'Elmer Mendoza, l'auteur, ne s'embarrasse pas de réalisme mais offre une sorte d'aventure picaresque avec un David malmené dans cette toute fin des années 60, pris entre les feux d'un cartel vengeur, d'une police à la recherche de guerilleros mais aussi de femmes qui le désirent alors qu'il a décidé de se reserver pour Janis.
Le roman, violent, peut paraître léger mais il évoque une période et un pays peu labourés en littérature et ces premiers pas, à la fois d'une rebellion à un gouvernement central, tout autant que les premiers gros deals d'herbe entre les Etats-Unis et le Mexique. Des passages en bus ou encore en bateau. Et puis il faut reconaître que Mendoza possède un certain style. D'accord l'inclusion des dialogues au coeur du texte, ce n'est pas nouveau. Mais l'utilisation ici conserve et entretient le rythme. Surtout, L'amant de Janis Joplin offre une vision tellement mexicaine de la vie, une forme de dérision, de fatalisme lucide et ça, Mendoza saitle faire passer : "Le Chato qui avait trente kilos de maladresse en moins, fit feu sur la forme mouvante par quatre tirs impeccables : Prends ça, putain de bourgeois ! Et le gros s'écroula, déçu de la vie." Plus loin, la discussion entre guerillero et narco vaut son pesant de tacos : "la politique, l'impérialisme, tous ces trucs, j'y connais rien, mais je te jure que si vous gagnez je me coupe les couilles. On va gagner, Cholo, l'avenir est à nous. Vous gagnerez que dalle avant que ce pays devienne socialiste, communiste, ou ce que tu voudras, je te parie mes couilles, que vous finirez tous narcos, comme moi."
L'amant de Janis Joplin (El amante de Janis Joplin, trad. François Gaudry), ed. Métailié, 229 pages, 19,80 euros