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The killer inside me

Littérature noire

Betty : beaucoup d'émotions... et même un peu trop

Betty Carpenter est une très jeune enfant lorsqu'elle débarque, à la fin des années 50, à Breathed, dans le sud de l'Ohio, avec toute sa famille. Ce qui signifie son père, Landon, indien Cherokee, sa mère, mais aussi son grand frère Leland, ses grandes soeurs Fraya et Flossie et ses deux petits frères, Trustin et Lint. Betty, peau sombre, cheveux de jais, est le portrait de son père et pour ça, elle va souffrir de racisme dans cette petite ville. Le coeur remplie de poésie, elle va apprendre les valeurs de la terre par son père, jardinier hors pair et par ailleurs grand conteur. Ces valeurs vont lui permettre d'affronter une terrible destinée. Lorsqu'ils ont acheté cette maison à Breathed, on a dit aux Carpenter que la précédente famille avait tout bonnement disparu du jour au lendemain. Comme une sorte de malédiction...
Phénomène en librairies, Betty et ses plus de 700 pages content les dix huit premières années de la Petite Indienne, une histoire forte, d'amour entre une fille et son père, une fille et sa famille, une histoire aussi autour de l'émancipation, de la femme avec les violences qui leurs sont faites au sein de leur famille mais une émancipation également raciale, puisque Betty doit se battre contre les préjugés à l'école, dans la société et parfois au sein de son propre foyer. La vie n'est pas rose pour cette petite fille mais elle trouve de la beauté dans tout : la rivière, le rire de ses soeurs, les mains de son père, les bienfaits des plantes... Tiffany Mc Daniel a choisi de ne rien épargner à son héroïne. Elle va donc faire face aux viols, au massacre d'une portée de chatons, à l'humiliation en classe, à un décès, puis d'autres. L'autrice jongle ainsi entre un réalisme, presque provocant et une poésie naturaliste, incarnée par un père qui a tout du shaman. Si la lecture est facile, très rythmée, elle n'en garde pas moins quelques lourdeurs, un petit côté Paulo Coehlo si on était méchant. Cette façon de dire, le monde qui m'entoure est très dur, mais je crois en mon étoile et les mots vont me sauver. Mc Daniel s'y prend même un peu maladroitement parfois, comme lorsque la mère raconte son viol à Betty : "- Dieu nous hais. - Nous les Carpenter ? - Nous, les femmes." Certains ont vu dans Betty une forme de féminisme. Oui. Mais ce n'est pas foncièrement original. Il y a cette tenace impression d'avoir déjà lu cela ailleurs.
Il y a également quelques platitudes qui tiennent aussi à la personnalité de Betty, mélange de Candide et de Calimero parfois, qui lui fait dire par exemple : "ma robe préférée était une robe de Maman qui avait été passée à Fraya, puis à Flossie et enfin à moi. A l'origine,  elle avait été rouge vif. Les années l'avaient décolorées et quand mon tour est venu de la porter, elle tirait sur le rose. Parfois j'imaginais que tout ce rouge disparu était le sang perdu par les femmes qui l'avaient mise." Ou encore "Un homme qui avait les mains de mon père était un homme qui avait construit sa demeure avec du ciel et des étoiles."
Betty frôle à la fois le roman philosophique, poétique,, tout en se voulant un roman affecté d'une dimension sociale, la place des femmes, la place des Native american. On retrouve dailleurs en fond, ce qui avait fait le succès de My absolute darling de Gabriel Talent : une jeune fille violentée, malmenée, dans le cadre familial, capable de résilience. Là, Tiffany McDaniel charge un peu plus la barque. On ne doute pas de la sincérité du propos, ni même de l'histoire, passionnante, avec de vrais moments de bravoure, c'est juste qu'il y a ce sentiment que l'autrice veut jouer, presque mécaniquement, avec les émotions du lecteur, répulsion, émerveillement, tristesse, dégoût, colère, tendresse. Les dernières pages sont, à ce titre, un condensé de tout cela. On aurait un soupçon de pudeur. De sobriété.


Betty (trad, François Happe), ed. Gallmeister, 726 pages, 26, 40 euros
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