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The killer inside me

Littérature noire

Les princes de Sambalpur : quelque chose de superbement pourri au royaume

Pas simple le polar historique. Toujours ce sentiment de verser dans la démonstration d'un rat de bibliothèque, le petit détail qui va bien, l'anecdote véridique relevée dans une gazette de l'époque, le souci des vêtements poussé jusqu'à l'excès, tout cela parfois au détriment du fond. Il y a eu un génie pour contourner tout cela, c'était Philip Kerr. Il faut croire que le climat de l'Ecosse est propice à cet exercice puisqu'Abir Mukherjee a grandi, lui aussi, à l'ombre de la croix de Saint André. Et Les princes de Sambalpur, son deuxième tome des aventures de Sam Wyndham, capitaine de police de l'empire britannique à Calcutta, vétéran de la guerre de 14,  est un délice.
Il faut oublier les réticences à l'idée d'une intrigue en terre indienne. Trop exotique ? Trop inattendu ? Oui. Mais non. Oui c'est complètement à part mais essentiellement pour l'environnement, le cadre. Pour le reste, c'est du classique pur british, façon miss Agatha.
On est au printemps 1920, le capitaine Wyndham et son adjoint indien Sat ont un entretien avec l'héritier du trône de Sambalpur. Celui-ci confie qu'il est peu intéressé à l'idée de rejoindre un congrès des Princes, sorte de chambre imaginée par le colonisateur pour faire croire à un gage de démocratie. Mais le jeune prince s'inquiète surtout des mots retrouvés dans ses appartements lui intimant de faire attention à sa vie. Et là survient, alors que le trio est en route, un tireur qui abat justement le prince. L'émotion est gigantesque. La couronne veut vite un coupable. Et celui-ci est trouvé et se suicide avant d'être interpellé. L'enquête doit se poursuivre mais Sambalpur est hors de la juridiction de Wyndham. Peu importe, il prétexte des vacances pour assister aux funérailles de l'héritier. Invité, avec Sat, par le Maharajah effondré, le capitaine de l'empire va se coller à des intrigues de palais dignes des plus belles monarchies occidentales.
Très rythmé, Les princes de Sambalpur est une réussite de bout en bout, évitant l'écueil de l'exotisme gratuit pour offrir avant tout une vision de la société de cette époque, vision précise mais très complexe aussi. Et ce qui intéresse Abir Mukherjee ce sont aussi les relations entre la couronne britannique et les Indiens. Cet étrange lien de subornation admis du bout des lèvres, où des sujets, éduqués dans les meilleures écoles anglaises, finissent par penser que les vrais barbares se trouvent à Londres et que, finalement, tant que les royaumes et les maharajahs auront ce train de vie, l'équilibre, fragile, perdurera. Mieux qu'Agatha Christie qui avait un fond de condescendance pour les colonies, Mukherjee démontre l'extrême lucidité du peuple indien et, derrière les atours de traditions ancestrales comme la polygamie, une intelligence toute florentine.
Et puis son capitaine de la couronne britannique régale à chaque instant. Amoureux transi, adepte de la pipe d'opium comme du Laphroaig, il est un observateur admiratif et moderne de la société indienne et par exemple, cette description de la gare de Howarh, à Calcutta, est un petit bijou. Enfin, il y a, comme chez Kerr, cet humour saignant : "il aime beaucoup se moquer des Britanniques de temps en temps. Un jour il a offert à M. Carmichael un sac de golf et des clubs en témoignage de l'estime de Sambalpur pour son noble Résident. Carmichael en est extrêmement fier. Ce qu'il ignore c'est que le sac est fait en peau de pénis d'éléphant. Son Altesse l'a fait fabriquer spécialement."
Une des très bonnes surprises de cette rentrée 2020, et à l'heure où plus personne ne peut voyager, le livre prouve une fois de plus sa puissance évocatrice.

Les princes de Sambalpur (trad. Fanchita Gonzalez-Batlle),ed. Liana Levi, 357 pages, 20 euros
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