Littérature noire
6 Novembre 2020
L'homme n'a pas de nom. C'est une ombre, une barbouze dans les bagages du président de Gaulle qui se rend en voyage officiel au Brésil. C'est un soldat, un homme qui obéit, une machine à tuer aussi, formée et polie dans la poussière de l'Atlas algérien. S'il pose le pied en terre carioca, c'est pour éliminer un ancien de l'OAS, au fin fond de la jungle. La mission est complexe, mais c'est pour cela que l'on fait appel à lui. Mais cette fois, le travail accompli, alors qu'il pense retourner à Paris, il doit se rendre à Manaus récupérer un dossier. Là, il se retrouve face à son ancien capitaine, Charles "Gu" de Cyrène, qu'il a trahi au plus fort de la guerre d'Algérie, maintenant réfugié affairiste au milieu de la jungle.
Dominique Forma excelle dans ces formats courts, ces novellas tendues comme le précédent Albuquerque. Les personnages sont vite saisis, entrent dans l'action en quatre pages puis se retrouvent happés dans une histoire, un maelstrom. Ici, avec Manaus, l'auteur réussit d'abord à peindre un formidable soldat de granit, un tueur intelligent et froid, très méthodique. Un Français qui se retrouve parachuté dans le pire du Brésil : "la ville ressemble à une flaque qui s'étendrait plus ou moins, selon la montée des eaux ou la saison d'étiage. Une ville vautrée entre l'Amazonie et les bras de rivières s'enfonçant dans la jungle, mais où tout converge vers le port flottant. La ville a perdu depuis des décennies son exubérance, le théâtre Amazonas, symbole de son ancienne bourgeoisie triomphante, n'est plus visité que par des chiens et des vieilles métis, rôdeuses de berge, qui proposent leurs atouts affaissés à des prix sans concurrence." Si ça c'est pas un pitch d'enfer pour visiter les recoins du pays !
Forma réussit par ailleurs un face à face suspendu entre le soldat et son ancien supérieur, tous deux fuyant des Allemands contrariés et armés.
C'est chaud, c'est poisseux, c'est stylé, donc ça tombe à pic en ce mois de novembre un peu spécial. Ah, et puis oui, en fin de roman, le lecteur apprendra juste le prénom de cette barbouze mutique.
Manaus, ed. La manufacture de livres, 154 pages, 12, 90