Littérature noire
10 Décembre 2020
Taulard. Prsionnier. Voyou. Braqueur. Escroc. Finalement Edward Bunker (1933-2005) demeurera dans l'histoire comme écrivain. L'auteur d'Aucune bête aussi féroce, son premier roman dont il apprend la prochaine publication quand il est encore détenu à San Quentin, a connu une vie de violences dès sa plus tendre enfance. Mère absente, père incapable, financièrement et physiquement, de s'occuper de lui, il est placé dans les différents foyers de l'Etat de Californie. Véritables creusets du crime, ces institutions commencent d'abord par renvoyer l'enfant turbulent. C'est le départ de L'éducation d'un malfrat, autobiographie stupéfiante et véritable retour sur sa "première vie". Dès 9 ans, Bunker fugue, dort dans des voitures, des cinémas. Puis, dans une Amérique des années 40-50 qui interdit le vagabondage, est rattrapé, sévèrement corrigé. Son caractère rebelle l'empêchera de plier, le poussera à voir l'injutsice de sa situation. Assez vite, il se tournera vers le crime. Pour vivre. Et pour vivre bien surtout. Il va trafiquer des chèques volés, tremper dans le deal d'héroïne, braquer (un peu) mais surtout vivre de combines. C'est lors d'un de ces allers-retour dans ces cellules de trois mètres sur un mètre trente qu'il se plonge réellement dans la littérature. Lui a toujours aimé le cinéma et les histoires. Peut-être pourrait-il en écrire ? Deux rencontres vont bouleverser son parcours criminel. D'abord Louise Wallis, star hollywoodienne du cinéma muet, marié au producteur Hal Wallis, et femme de coeur qui s'était impliquée dans le social au point de devenir une mère de substitution pour le jeune Bunker. Et certains passages de L'éducation d'un malfrat sont ainsi d'une rare tendresse. La deuxième personne déterminante pour l'auteur fut Caryl Chessman l'un des premiers prisonniers américains à tenter de se sortir du couloir de la mort par l'écriture. C'est lui incitera qui Bunker à utiliser les morts pour s'extraire de sa condition.
L'éducation d'un malfrat est remarquable parce que le futur Mister Blue de Reservoir Dogs y parle librement, sans filtre, de l'échec patent de la politique d'incarcération aux Etats-Unis. Quatre milles hommes incarcérés à San Quentin ! Et alors que la peine de mort existe toujours, des cellules qui se remplissent, une criminalité grandissante, sans que le spectre de la chambre à gaz ne freine quiconque. Y compris derrière les barreaux où les coups de surin sont Légion, les morts fréquents comme ce Sheik, une espèce de montagne de muscles qui se fait bouffer les oreilles pendant une bagarre et sortira de San Quentin les pieds devant. Un quotidien carcéral par ailleurs sans aucune mesure sociale, sans accompagnement. Quelques uns fument un peu d'herbe, se shootent, d'autres lisent. Bunker, respecté parce qu'endurci, fait les deux.
Evidemment qu'il ne dit peut-être pas tout sur sa vie de criminel même s'il est parfois lucide, voire critique sur ses choix, poussé, avoue-t-il par le goût de l'aventure. "Je satisfaisais alors aux critères de ce qui s'appelait alors le psychopathe criminel (devenu aujourd'hui sociopathe) : un individu qui parlait comme s'il était sain d'esprit mais se comportait en fou furieux." Les dernières pages se révèlent prodigieuses et il fait bien sentir, au milieu des années 60, la guerre des races qui s'installent dans les couloirs de la taule.
C'est un de ces livres importants sur l'état de l'Amérique au XXe siècle mais aussi sur les conditions de détention, l'un des plus gros tabous des sociétés contemporaines. L'éducation d'un malfrat, c'est également la véritable rédemption par l'écriture et même une écriture orginale, débarassé des scories classiques, attendues ou prévisibles. C'est la prose d'un mec qui a passé la moitié de son existence entre quatre murs, sous l'oeil des gardiens. Bunker, matricule A20284, qui parle de Dostoievski ou de Camus, cela a une certaine force. Et puis, le lecteur a l'occasion de croiser l'immense Dany Trejo, membre de gang chicano, sorti du crime, lui, par le cinéma et notamment Robert Rodriguez. Bref, c'est précieux.
L'éducation d'un malfrat (Education of a felon, trad. Freddy Michalski), ed. Rivages, 624 pages, 9 euros.