Littérature noire
11 Janvier 2021
Texas, 1963. Un ancien Marine est retrouvé flingué d'une balle dans la tête au milieu de nulle part à El Paso. Fletcher et Drake, les deux flics du coin observent le cadavre sous toutes les coutures. Pas courant qu'un Blanc se fasse ainsi trucider par ici. A la morgue, entre deux verres de champagne, en compagnie du légiste, il remarque d'étranges ganglions sur l'infortuné soldat. Toujours plus bizarre.
Réussir sa scène d'ouverture, dans un roman, c'est devenu vital. Et Richard Morgiève, pour Cimetière d'étoiles, ne s'est pas loupé. La folie s'installe sans attendre, le duo de policiers fait preuve d'une psychopathie impressionnante. Des solitaires, des violents, des corrompus, Fletcher et Drake cochent quasiment toutes les cases. Et, pour ne rien gâcher, ils carburent au LSD, histoire de rester éveillé, de flairer les pistes, de secouer le moindre témoin, le moindre indic. Dans ces conditions, l'enquête va prendre des conditions dantesques. Deux autres flics, d'autres pourris, mais cette fois mexicains, leur demandent de chercher une jeune fille disparue. Bingo ! Les deux dossiers semblent se télescoper. Ce Marine était-il un ancien tireur d'élite que le Milieu aurait voulu recruter ? L'hypothèse est séduisante.
Cimetière d'étoiles fourmille d'idées, de visions, de réflexions bien barrées, à l'image de ces deux flics texans, camés 24 h sur 24. Suite indépendante du Cherokee, le lecteur se retrouve encore une fois plongé dans un univers à la Jim Thompson, chargé donc en schizophrénie, en maladies mentales et en êtres peu recommandables. L'allusion est évidente avec le personnage de Lou Ford, ripou de L'assassin qui est en moi et d'Eliminatoires, mais Morgiève bâtit son roman avec ces poulets qui semblent contenir toutes les tares des différents romans de Thompson, de La mort viendra petite à Nuit de fureur. Bref, c'est un régal de noirceur sous cette plume sans fard, jamais avare en clins d'oeil, adepte d'un parler franc qui renvoie aussi aux belles heures du polar français des années 70, à grands coups de "bite" et autres "couilles". El Paso et le Texas sont un univers de mâles crasseux et Morgiève se plie bien volontiers aux coutumes locales.
Rythmé comme un vieux rock'n'roll, ponctué de ces fameux chapitres courts, Cimetière d'étoiles offre, pour le même prix, un lot de lieux improbables; du diner lugubre à l'immeuble de logements gardé par madame Love, en passant par le commissariat, les bars de nuit, avec comme il se doit quelques célébrités locales, Wayne la branlette, Henry-James le cuivre ou, plus sérieusement, Sam Giancana. Le capo di tutti capi. On est en 1963. Pas si loin de Dallas...
Et parce que Morgiève ne fait rien comme les autres, qu'il se paye le luxe d'une liberté de ton et de style, on croise une référence forte au peintre Philippe de Champaigne, un peu de Hemingway, du Lovecraft. Et la Bible. Sous des airs d'hommage au genre, de délire sous hallucinogène, Cimetière d'étoiles endosse le costard du polar de haute classe, précis dans son foutoir, impeccable dans sa construction, habile dans le jeu avec le lecteur et doté d'une fin que n'aurait pas reniée Sam Peckinpah (pour Apportez moi la tête d'Alfredo Garcia). De la belle oeuvre.
Cimetière d'étoiles, ed. Joelle Losfeld, 480 pages, 22 euros.