Littérature noire
18 Janvier 2021
Le commandant Jourdan suinte l'épuisement. Son boulot à la crim' de Bordeaux l'essore chaque jour un peu plus. A quelque chose comme cinquante ans, il vacille entre la lassitude et la colère devant la violence pourrie des hommes. Le voilà qui intervient sur l'assassinat de trois enfants et de leur mère, froidement abattus, sans nul doute par le père, jaloux. Con. Meurtrier. La vision des trois corps alignés, face contre terre, foudroie Jourdan. Tout comme celle de la mère, encore nue de sa douche, en poupée désarticulée sur le carrelage.
Louis, elle, est encore en vie. Mais pour combien de temps ? Cette aide à domicile, élevant seule son petit Sam, est harcelée et frappée par un ex qui la coince devant chez elle ou s'introduit dans son appartement. Coups de pieds, de poings. Au commissariat, lorsqu'elle a voulu porter plainte, on ne lui a accordé qu'un regard distrait.
Enfin, il y a Christian. Tueur pathologique, élevé par une mère perverse.
Le trio que réunit Hervé Le Corre dans Traverser la nuit joue une partition qui caresse différentes cordes. Et le lecteur peut se dire qu'il a déjà lu cela. Que cela ne lui est pas étranger. Mais on ne l'a pas encore lu comme Hervé Le Corre l'écrit. Oui, Jourdan est un cousin de Pierre Vilar, ce commandant des Coeurs déchiquetés (2009, Rivages) qui attendait son gamin disparu devant l'école. Ils ont cette souffrance en eux. Mais cette fois l'auteur offre sa bienveillance aux femmes et le personnage principal de ce nouveau roman est peut-être bien Louise, C'est peut-être elle l'héroïne. Qui lève tous les jours son petit, dans un flot de tendresse, qui va s'occuper de ses s vieux, leur faire le ménage, la discussion, les courses. Parfois sous un oeil méfiant. Des moments crevant d'humanité que saisit Le Corre, par exemple chez cette dame frappée d'Alzheimer (" et là Lidia est tombée dans ses bras, molle comme un drap, impossible de la remettre debout, , et elle a éclaté en sanglot en demandant pardon, pardon elle répétait, qu'est ce qui m'arrive, je ne sais plus où je suis"),ou cette autre qui peste contre la folie du monde...
On ne s'habitue pas à la plume sensible de l'auteur bordelais, elle trempe toujours dans les douleurs du monde et, sans mièvreries, se pose aux côtés des plus faibles, des broyés. Dans une montée en puissance implacable, Le Corre offre quarante dernières pages qui sonnent comme une leçon de narration : carrée, bouleversante, fiévreuse. On s'est encore fait piéger !
Traverser la nuit, ed. Rivages, 318 pages, 20, 90 euros