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The killer inside me

Littérature noire

L'île invisible : enquête mélancolique au pays de Chavez

Le soleil. La mer. Des palmiers. Un whisky soda. L'île Margarita, petite perle au sud du chapelet des Caraïbes, dans les eaux vénézuéliennes, a tout du paradis. Mais Edeltraud Kreutzer n'à que faire des charmes balnéaires de ce confetti de 500 000 habitants. Son fils, Wolfgang, membre de cette communauté allemande très présente par ici, est mort il y a deux mois dans les eaux turquoise de playa el agua. Noyade. La mère a fait dix heures d'avion pour trouver des réponses à ses questions. Son fils savait nager. Son corps a été retrouvé dans un mètre d'eau. Qu'est ce qui s'est réellement passé ? Un mot anonyme évoque l'adultère de sa belle-fille... Dans un pays aux moeurs si peu teutonnes, elle se voit conseiller les services d'un avocat, peut-être en perte de vitesse, mais d'une honnêteté inattaquable : Jose Alberto Benitez. Il a quelques amis bien placés. Des contacts. Et c'est indispensable dans ce monde lymphatique, accablé autant par la chaleur que par une administration pachydermique. Mais Benitez a aussi ses soucis : un matin, il se lève et écrit une poignée de vers en anglais. Sans savoir d'où lui vient cette inspiration littéraire. Il s'inquiète et s'en ouvre à son ami psychiatre.
Edité par Asphalte une première fois en 2013, revoici donc L'île invisible, le succès de Francesco Suniaga. Amateur de polars sudaméricains gorgés de nostalgie et de politique, précipitez-vous sur cette petite merveille. Il y est question des études en Union Soviétique de quelques quinquagénaires alors fringants utopistes. On refait le monde, on raconte l'évacuation de Moscou par avion spécial et chacun y va de son anecdote dans la république bolivarienne alors dirigée par Hugo Chavez. Il y a notamment celle, poignante, de Mike, membre du Peace Corps et présent à Margarita dans les années 60 avant de partir au Viet-Nam où il trouva la mort. Suniaga n'use pas d'artifices, laisse dérouler les souvenirs, repeint son récit en sépia. Avant de replonger dans cette enquête où Benitez fait preuve d'un flegme caribéen, tout en confiant son amour pour les clavicules féminines...
Une des astuces, c'est finalement, au milieu du récit, de redonner vie au personnage de Wolfgang. De l'observer sur ses derniers mois quand il s'est pris de passion pour les combats de coqs. Là encore, Suniaga réussit à la fois sa transition narrative et les ambiances de gallodromes (c'est le nom de ces arènes). Le lecteur comprend alors comment une île peut rendre fou le premier occidental venu. Pour tout un tas de raison. Et ici, ce sont les coqs.
Francesco Suniaga s'offre par ailleurs une intéressante réflexion sur la mémoire, la mémoire des livres, l'oeuvre de Conrad.
Sous couvert de polar ensoleillé, le lecteur se plonge au coeur d'une génération d'hommes autrefois engagés, sans rancoeur, mais avec une belle mélancolie sucrée. Dans ce rythme indolent, le lecteur y trouve son compte, a le sentiment de baigner pour quelques heures dans les ruelles de La Asuncion. L'île invisible, plaisir non négligeable, offre un dénouement au diapason, tendre et émouvant.

L'île invisible (La otra isla, trad. Marta Martinez-Valls), ed. Asphalte, 267 pages, 22 euros
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