Littérature noire
19 Février 2021
Ce duo de rois ! Jean-Bernard Pouy et Marc Villard ! "Du haut de ces pyramides plusieurs dizaines d'années de polar vous contemplent". Et, malgré ces années, avec la même fraîcheur, la même envie, les deux auteurs pondent cette Mère Noire, se partageant les deux faces d'une seule pièce.
Voici, en première partie, L'art me ment, par JB Pouy où Cloclo adorable petite fille suit son père, séparé, dans une gare désafectée de Bretagne qu'il a rachetée et retapée. Elle s'occupe des poules (et du coq Balladur), lui, peint. En ce jour de vacances scolaires, sur cette ligne SNCF si peu fréquentée, un convoi de cheminots grévistes attend de pouvoir manifester jusqu'à Rennes. Et le père et la fille de se lier, entre deux cubis et un barbecue. Pouy s'en donne à coeur joie dans son amour de la langue, jouant avec les mots, les expressions, la syntaxe... et le lecteur. C'est enlevé, faussement léger car c'est aussi une histoire de luttes. Sociale. Et familiale.
Puis Villard prend la main pour Véro, mère de Cloclo. Changement de ton assez radical. Noirceur immédiate du contexte malgré le soleil de Camargue. Véro est en galère, vit dans une caravane et trempe dans un braquage avant de se faire interner dans une clinique de repos. Villard excelle dans ses peintures de vies périphériques, des marginaux rebeus ou bikers, qui bricolent, vivent d'expédients et attendent, avec plus ou moins d'espoirs, de meilleurs jours. C'est noir mais il est aussi question de solidarités, de femmes, avec leurs fractures et leurs forces.
Les deux histoires, comme les deux styles, se répondent parfaitement, dans ce qui est une grosse novella de 145 pages où on sent bien que les deux auteurs ont pris du plaisir, mettant en quelque sorte leurs ADN respectifs dans ces quelques lignes. L'objet n'est pas commun et peut dérouter ceux qui restent attachés à des formes classiques de narration. Pour autant, on n'est pas non plus dans le fol exotisme, c'est un exercice libre, original, mais sérieux, maîtrisé. Et enthousiaste.
La mère noire, ed. La Série Noire, 146 pages, 15 euros.