Littérature noire
22 Février 2021
Sans se réinventer totalement, Indridason essaye depuis une demi-douzaine d'années de changer, de se diversifier. Cela fait même un peu plus longtemps si on se souvient de son one shot, Betty. Après avoir mis de côté le héros qui a fait sa popularité, le commissaire Erlendur, il lui a consacré trois épisodes plutôt réussis, traitant de sa jeunesse d'enquêteur. Et depuis 2017, il y a donc la série Konrad, dont La pierre du remords est le troisième tome.
Konrad, ce flic à la retraite, veuf, qui évolue dans les rues de Reykjavik avec son ancienne collègue Marta. A la différence d'Erlendur, il est ici moins question de grands espaces, de fjords. Indridason, toujours dans l'esprit de Simenon, fait de l'urbain et se rapproche du social-réalisme cher à Sjowall et Wahllöo. Sans toute fois la moindre dimension politique.
Tout démarre avec une formidable séquence de voisinage façon Fenêtre sur cour, quand Valborg, paisible retraitée, se fait assassiner lors du cambriolage de son appartement. Pas très riche, sans ennemis connus, elle avait contacté Konrad quelques mois plus tôt pour lui proposer d'enquêter sur l'enfant qu'elle avait mis au monde il y a cinquante ans et qu'elle a confié, dès sa naissance, à une sage-femme. Valborg était atteinte d'une grave maladie et l'identité de son enfant la perturbait. Konrad n'avait pas accepté l'offre, pas dans ses cordes, trop compliqué. Face au cadavre de la dame, il regrette. Et va se lancer à la recherche du garçon. Ou de la fille. Il va croiser un flot de misère, des alcooliques, des fous de Dieu opposés à l'avortement, des médiums et de nombreuses femmes brutalisées, violées, frappées. Pour meubler son temps, Konrad se renseigne aussi sur les conditions du meurtre de son père, escroc de haut vol, mais là aussi, c'était il y a plus de trente ans. L'occasion d'une très belle scène chez le fils d'un photographe de presse qui ressort ses cartons de négatifs.
La pierre du remords est aussi une façon de briser un peu cette mythologie européenne du "tout est mieux chez les nordiques". Qu'ils soient Suédois ou donc Islandais, ces derniers étant loués aujourd'hui pour la place faite aux femmes. C'est sans doute vrai. Cela ne semble pas l'avoir toujours été.
In fine, aucun problème pour les fans d'Indridason, l'auteur est fidèle son style, ciel bas, névroses et liens sociaux en dessous de zéro. Hormis une fin qui fait un peu tiquer, cette Pierre du remords laboure toujours autant ce sillon du passé, des fautes enfouies, des mensonges qui finissent, on le sait tous, par exploser. Il y a une certaine beauté sombre dans ces tourments islandais.
La pierre du remords (Tregasteinn, trad. Eric Boury), ed. Métailié, 345 pages, 21, 50