1 Février 2021
On n'attrapera pas aussi facilement Gabino Iglesias et ses Lamentations du coyote. Fable noire sur la condition des latinos à la frontière mexicaine, le lecteur y trouve une matrice religieuse à base de bruja mais aussi un trafic d'enfants, des milices qui chassent les migrants, des mères qui pleurent leurs enfants, une artiste qui cherche le buzz... Un roman protéiforme qui emprunte aux deux cultures de ce coin du globe.
Ecrit pendant les années Trump, ce deuxième roman de l'auteur américain d'origine portoricaine s'extrait des formes classiques pour offrir des parcours non pas de vie mais bien de mort. Plusieurs personnages, plusieurs situations dans ce même bout des Etats-Unis, à un jet de pierre du Mexique. Il y a donc le coyote, qui est chargé de faire entrer des enfants migrants en Amérique. Pour cela il leur donne un conseil: "faites croire que des gangs veulent votre peau". Et ils les tabassent à coups de poing américain pour que leurs témoignages sonnent plus vrais. Métaphore de ce peuple forcé de s'automutiler pour obtenir le privilège de vivre sur la terre des yankees. Pedrito, lui, vivait,, paisiblement en famille lorsque son père a été abattu pendant une partie de pêche (scène vraiment formidable !) et depuis, il ne pense qu'à se venger. Alma, elle, cherche sa voie artistique, et se fait engager pour un happening ultime. Et puis il y a la bruja, cette mort qui observe, qui frappe.
Les lamentations du coyote sont parfois difficiles à suivre parce qu'elles font appel à énormément de mysticisme, de la religion chrétienne, aux orishas caribéens. Parce que tous ces migrants, ces latinos demandent une protection ou au moins une faveur, devant l'homme blanc clairement identifié comme hostile. Tout le roman d'ailleurs n'est que du point de vue latino et c'est toute sa saveur. D'enfiler les bottes, les baskets trouées, les chaussons de ces existences violentées.
Proche de David J; Osborne, de Benjamin Whitmer, Gabino Iglesias est un des rares auteurs qui collent autant à son époque et à ses origines. Les lamentations du coyote, kaléidoscope de peines et de douleurs, sont, elles aussi, la frontière de la littérature d'Amérique latine et la littérature américaine. Spirituelle et énergique.
Les lamentations du coyote (Coyote songs, trad. Piere Szczeciner), ed. Sonatine, 165 pages, 20 euros