Littérature noire
12 Mars 2021
Sorti la semaine dernière, Casino Amazonie est le cinquième roman d'Edyr Augusto, paru en France, toujours aux éditions Asphalte. Et, encore une fois, sous l'angle des jeux clandestins, l'auteur et journaliste, dresse un portrait accablant de son pays, pris dans un tourbillon de violences plurielles, violence d'un Etat totalement absent, violences d'individus âpres au gain mais également violences sexuelles. Belèm est plus que jamais l'anti-thèse d'un Brésil sexy et joyeux... Brève rencontre par mail avec la complicité de Diniz Galhos.
Casino Amazonie dévoile la jungle du jeu à Bélem. De quelle réalité êtes-vous partie pour l'écrire ? Le monde politique est-il aussi impliqué dans les casinos ?
Il y a du jeu dans presque toutes les grandes villes du monde. Les gens sont en quête d’adrénaline. Il y a énormément de gens qui aiment jouer, et les politiques ne sont pas différents. Les casinos sont présents à Belém, même si officiellement le jeu est interdit au Brésil. Tout le monde le sait, mais tout le monde préfère ignorer le problème. Dans mon roman, je mets en scène un gouverneur, et d’autres personnes très haut placées, qui touchent de l’argent pour justement ignorer ce problème, et profiter joyeusement eux aussi de ces endroits.
La police est quasiment absente dans le roman. Ou alors pas vraiment soutenue. Belèm est-elle une ville hors-la-loi ?
C’est une histoire qui remonte à loin. D’abord, c’est dû à la situation géographique de Belém. La drogue y arrive depuis la Bolivie et la Colombie en utilisant la capillarité, les multiples ramifications du fleuve, des affluents, de tous les cours d’eau. Mais nous avons aussi de l’or, de l’argent et beaucoup d’autres métaux précieux, qui constituent des enjeux stratégiques. Les multinationales prélèvent chaque jour des tonnes de ces métaux. Les policiers, eux, sont pour beaucoup corrompus et travaillent indirectement avec les trafiquants. Il faut savoir que les policiers touchent un salaire dérisoire, ce qui fait que certains se mettent à offrir une sorte de protection à des communautés. Tout ceci fonctionne comme une mafia. La protection et les services fournis sont variés : TV par câble, gaz pour cuisiner, etc. Dans cette situation, les policiers non corrompus ne veulent qu’une chose : rester vivants. Au Brésil, il n’y a ni Éducation, ni Culture, ni Santé. Je vous laisse tirer vos conclusions…
Cette ville est le coeur de votre oeuvre et paraît si éloignée des clichés brésiliens, pas de plages, pas de samba. Est-ce que c'est une ville oubliée par l'Etat ?
Belém compte 2,5 millions d’habitants. Dans le Nord, nous avons aussi des plages, et aussi des écoles de samba, ainsi que beaucoup d’autres choses intéressantes. Mais il y a comme un mur qui sépare le Nord du grand marché que représente le Sud du pays. Le gros de la culture arrive de Rio de Janeiro et de Sao Paulo, par la TV, les films, les livres, la musique. Il est très difficile de réussir, d’émerger pour un artiste qui vient du Nord, et de se faire reconnaître dans la totalité du pays. Il y a pour eux comme un préjudice de départ. En ce qui me concerne, les médias et la presse de Rio et de São Paulo ont commencé à me consacrer des articles à partir du moment où j’ai remporté le prix Caméléon en France (décerné par l’université de Lyon). Peut-être ont-ils pensé que, vu ce succès en France, j’étais un bon écrivain ! Parfois je me dis que mon travail est plus apprécié en France que dans mon propre pays.
Outre la violence, le sexe est omniprésent dans vos textes. Vus diriez qu'il y a moins de tabous qu'en Occident pour en parler ?
Je le disais, le plus gros problème vient de l’absence de système d’éducation, de culture et de santé. Des jeunes filles de 12 ans deviennent mères sans avoir compris, sans rien connaître. C’est sans parler du machisme et des féminicides. Vous savez, des hommes tuent des femmes chaque jour, ici. Le pays est abandonné aux mains d’un terrible président, complètement fou. Et il semble que personne ne puisse rien y faire. Tous les politiques, pour de l’argent, semblent s’accommoder de cette situation. C’est ce genre de choses que j’essaie de montrer dans mes livres.
Quels échos ont vos romans au Brésil ?
Très bon ! Les lecteurs aiment la rapidité des dialogues et de l’action, et la cruauté des personnages. J’ai vendu les droits cinéma de trois de mes romans, et pour l’un d’entre eux, Pssica (Asphalte, 2017), au célèbre réalisateur Fernando Meirelles (qui a notamment adapté le roman La Cité de Dieu, 2002).
Quelles ont été les lectures d'Edyr Augusto plus jeune ? Et que lisez vous encore aujourd'hui ?
Mon grand-père avait une merveilleuse bibliothèque et j’ai lu la plupart de ses livres. D’abord Les Aventures de Robin des bois, Moby Dick, etc. Puis des auteurs brésiliens, comme José Lins do Rego. Je n’ai jamais arrêté. Je suis un gros lecteur. Aujourd’hui je conseillerais entre autres Paulo Scott, Marcelino Freire, Xico Sá…
Quand on vous lit, quand on lit Paulo Lins ou Patricia Melo, on sent un besoin d'exorciser cette violence quotidienne. La littérature peut-elle aider le pays ? Dénoncer ?
En tant que journaliste, je sais que j’écris à la fois pour divertir et pour dénoncer la violence. Je veux que mes lecteurs sachent ce qui se passe à côté d’eux. Selon moi, oui la littérature, la culture, peuvent sauver le pays.
Depuis deux ans Bolsonaro est votre président. Comment ça se passe sur le terrain ?
Très mal. Il est en train de détruire le Brésil.
On parle ici de graves atteintes à la forêt amazonienne. Vous vivez pas loin. C'est vraiment le cas ?
Oui, tout est vrai. Et le président ne fait qu’encourager ça. Ça n’a pas de sens.
Son élection n'était-elle pas une réaction aux mandats de Lula et Rousseff, marqués par différentes enquêtes et procédures judiciaires ?
Oui. Quelques mois après, nous avons découvert ce que nous avons fait au pays… La population voulait les gens du Parti des Travailleurs derrière les barreaux. Et une économie libre, un pays libre, une culture libre, ce genre de choses… Et puis un jour a surgi Bolsonaro avec sa troupe. Il fait revenir le pays en arrière an amorçant un virage radical à droite. Il a mis des généraux à la tête de tous les organes de l’État. Puis est arrivé le virus, et il a refusé de voir la situation en face, il n’a pas autorisé l’achat de vaccins. En ce moment, au Brésil nous avons les pires hommes politiques, les pires juges, et tout ceci contribue à la destruction du pays. Je le redis : rien n’est fait ni pour l’éducation, ni pour la santé, ni pour la culture. Tout ça dans le but de ne pas éveiller la population, les consciences, pour la laisser dans une sorte de léthargie.
En ce mois de mars, où en est le Brésil avec la Covid ? Vous vous vaccinez ? Le tourisme est en faillite ?
En ce moment, comme partout dans le monde, la Covid tue des gens au Brésil. Les vaccins ne nous parviennent pas à un rythme satisfaisant. Et l’industrie du tourisme, comme je crois partout ailleurs, est en danger.
@photo Patrick Imbert