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The killer inside me

Littérature noire

Un voisin trop discret : l'Amérique, de Philadelphie aux montagnes afghanes

Est-ce que l'on craint d'être déçu par un écrivain - cela peut aussi être un groupe - que l'on trouve si formidable jusque-là ? Oui. Trois fois oui.  Est-ce que l'on aurait assez de lucidité pour le reconnaître ? PareiL C'est un peu l'état d'esprit quand on attaque le nouveau Iain Levison, Un voisin trop discret, septième roman de cet auteur aussi insaisissable dans son oeuvre que dans sa vraie vie. Et rassurons ses fans immédiatement : c'est encore un énorme roman. Le bonhomme est bien au rendez-vous, avec toujours cette ironie, cet humour pince sans rire, ce regard chaleureux sur la société. Au service d'une histoire, une nouvelle fois, très originale, explorant d'autres mondes, tout en conservant cette proximité avec ses personnages. Un voisin trop discret est un grand cru de Levison.

Aussi parce que son protagoniste principal est un phénomène. Jim. Sexagénaire d'une banlieue moyenne de Philadelphie qui arrondit sa retraite, enfin on imagine, en jouant les chauffeurs Uber. Ne venez pas sonner chez lui pour demander du sel, un peu de beurre. Non, il n'aime pas vraiment les gens, il ne se lie pas. "Il s'approche de la porte d'entrée quand il s'aperçoit que la nouvelle voisine est déjà près des boîtes aux lettres et qu'elle le voit arriver. S'il avait su qu'il allait devoir parler à quelqu'un il aurait été heureux de rester sous la pluie quelques minutes de plus." Sa voisine de palier est une femme de militaire et le récit se transporte alors en Afghanistan, parmi les derniers soldats américains encore présents sur place. Le mari en question est un sniper de haut vol et ce n'est pas un outrage à la langue française de dire que c'est aussi un sacré connard. Et ça ne s'arrange pas lorsqu'une mission part en sucette : sa présence et celle de son binôme sont repérées, ils doivent fuir sous les obus de mortier, son partenaire est mortellement blessé, il l'achève pour éviter qu'il tombe vivant entre les mains ennemies... forcément ça vous bouscule le plus costaud des GI.

Et ainsi, Levison tisse une incroyable histoire, d'hommes et de femmes, évoquant autant la politique extérieure américaine, la folie de ces interventions extérieures, que le puritanisme, l'envie de réussir et cette vie quotidienne faite de visites chez le docteur, de courses chez l'épicier du coin. L'ancien pêcheur de king crab dans les eaux de l'Alaska excelle dans l'exercice conjoint de l'analyse et de l'observation. On retrouve là toute la plume délicate et un brin politique qui avait fait merveille dans Trois hommes, deux chiens et une langouste ou Pour services rendus. " Le secret d'un mariage heureux est peut-être de le fonder sur le mensonge. L'honnêteté n'est peut-être pas une bonne politique, le déni est peut-être le secret du bonheur et être honnête avec soi-même est peut-être la voie du désastre." L'auteur parvient à parler du monde qui est à sa fenêtre en lui donnant une dimension nationale et internationale. Comment traitons-nous l'autre, sur le palier en face ? Ou au bout du monde ? Est-ce que nous le connaissons vraiment ? Devons nous avoir peur de lui ? C'est le sens aussi du titre original, parallaxe : le changement de point de vue, de position pour l'observation.

Evidemment que c'est formidable. Evidemment que c'est sans prétention, sans morale. Et le prodige c'est que cela tient en 219 pages !

Un voisin trop discret, (Parallax, trad. Fanchita Gonzalez-Battle), ed. Liana Levi, 219 pages, 19 euros.
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