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The killer inside me

Littérature noire

Epuration : de Toulon 1944 à la société d'aujourd'hui

C'est un texte court, râblé, sur un thème qui revient curieusement sur les tables de nos libraires ces mois-ci (cf Nous avons les mains rouges, de Jean Meckert et La sacrifiée du Vercors, de François Médéline). Epuration, de Gilles Zerlini, clame haut, fort et simplement son ambition : raconter les dégueulasseries à la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

L'auteur bastiais se met ainsi dans les pas de Louis. Qui est "là... aujourd'hui... avec deux autres couillons à attendre." C'est Toulon, à la Libération et Louis se remémore, ses jeunes années, d'abord la Grande Guerre, les tranchées à Verdun, une médaille, puis le village en Corse, en Tavagna, l'amour avec Félicité sa future femme, la misère aussi, le travail des champs et puis cette opportunité de travailler au "service des eaux" de la ville de Toulon, grâce à un parent dans la place. L'entre-deux-guerres, ponctué d'enfants, de filles surtout, et puis des filles aussi dans la rue. Ville de marins, la cité varoise voit fleurir parmis les plus beaux bordels de France. Louis se lie d'amitié avec une matronne. Lorsque le gouvernement de Vichy débarque, il fait partie des milliers de Toulonnais qui assistent au raout de Pétain, place de la LIberté. Puis pendant deux ou trois ans, il va guider les soldats allemands au sein des spécialités carnées des filles pas toutes de joie.

Encore une fois avec Gilles Zerlini, la première chose qui s'impose, c'est l'absence de dialogues. L'auteur n'aime pas ça. Dommage. Car il faut tout de même quelques pages avant que la lecture arrête de frotter et prenne son rythme. La respiration, le naturel, la vie qu'apportent deux ou trois paroles ne se remplacent pas. Heureusement, Zerlini met du rythme. Chapitres serrés, saynètes mais aussi petites histoires qui viennent s'imbriquer, c'est ainsi tout un monde grouillant qui se bouge dans ce quartier toulonnais. Au-delà, il y a un vrai parti pris idéologique à dénoncer la tragédie qui s'approche et à défendre la vie, peut-être subversive, de ce petit peuple, de ces prostituées certes mais aussi de ce "soupeur" inoffensif, de ce vieux monsieur, ancien instituteur occupé à faire pousser ses légumes sans s'occuper des Allemands. Et Zerlini d'en profiter pour lâcher quelques réflexions acides sur la société insulaire actuelle, sa dévotion au tourisme ("aujourd'hui ma plaine est devenue une station balnéaire") comme sa corsitude de façade...

On sent une forme de colère sourde chez cet auteur qui, depuis bientôt dix ans, écrit ce monde qui se perd. Il ne parle jamais de valeurs fort heureusement, mais il enrage de voir cette société basculer dans le paraître, l'argent, les convictions opportunes. C'est la disgrâce de Louis, ancien soldat de Verdun, homme de labeur, devenu, par le fait d'un jeune résistant de la toute dernière heure, un paria, un collabo. Il y a évidemment un effet de miroir avec l'époque actuelle, renversement historique des grands principes de solidarités et de cultures.

Epuration, ed. Maurice Nadeau, 155 pages, 18 euros
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