Littérature noire
16 Avril 2021
Soyons francs : dans l'art allemand on a toujours été plus attirés par les sorties aériennes d'Harald Schumacher, les coups francs de Rainer Bonhoff que par le polar. Mais justement, Simone Buchholz a le bon goût de placer l'intrigue de Nuit bleue au coeur de Sankt Pauli, quartier portuaire de Hambourg et adresse officielle du plus incroyable club d'Europe, en terme de supporters, d'activisme politique et d'histoire tout simplement. C'est là que crèche la procureure Chastity Riley. Pour éviter toute confusion, une procureur allemande, c'est une policière, une capitaine de police même. Et pas un magistrat. Riley a tiré dans le bas ventre d'un supérieur ripoux il y a quelques mois et s'est retrouvée au placard, à surveiller, désormais, les victimes d'agressions. Dont ce mystérieux, car mutique, Joe. Il s'est fait démonter le corps, souffre de diverses fractures et d'un index en moins. Mais parle. Peu. Suffisament pour déceler son accent autrichien. A force d'insistance, et aussi par la grâce de deux bières une bouteille de vin, quelques cigarettes, elle parvient à lui tirer de menues infos. L'homme n'est évidemment pas un bénévole de la Croix Rouge : il est dans le Milieu et avertit Riley d'une sale livraison de Meth mais aussi d'une nouvelle came, plus trafiquée, plus addicitive, le krokodil. Elle en parle avec sa tribu d'amis, la tenancière portugaise, son amant tenancier de bar, son collègue en dépression, mais aussi d'autres flics, des stups. Un voyage plus tard en ex-RDA et en Tchéquie, et elle comprend l'étendue de la menace.
Simone Buchholz a un talent incontestable pour créer une ambiance, un environnement et donner une identité à cette Nuit Bleue, premier bébé de la collection Fusion de L'Atalante. Jeune femme rebelle, Riley, vit dans un microcosme fait de bienveillances et de fractures. Chaque personnage secondaire apporte sa couleur à un tableau impressioniste, pris sur l'instant. Le lecteur sent les cigarettes des bars, le goût du schnaps pris "en dessert", l'odeur du port, de la Reeperbahn et des ruelles plus sombres. Mais Buchholz ne se contente pas de cela. Elle parvient à ficeler une narration assez originale, en incrustant ses flash backs précis, ses petites histoires autour du caïd albanais, de l'enquêteur Calabretta, des petits voyous arrivistes, de Joe... c'est court, efficace et irrigue bien sûr toute l'intrigue. Sans compter que toute la partie sur la Tchéquie est très riche d'un simple point de vue de l'info (et cela vient bien en complément des romans d' Arpad Soltesz). Bref un excellent polar qui appelle une suite.
Nuit bleue (Blaue nacht, trad. Claudine Layre) , ed. L'Atalante, 231 pages, 19, 90 euros