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The killer inside me

Littérature noire

Trois cartouches pour la Saint-Innocent : on reparle de Jacqueline Sauvage

Formidable idée que celle de Michel Embareck de fouiller sous la couche médiatique de l'affaire Jacqueline Sauvage, retraitée qui avait abattu son mari de trois tirs de fusil dans le dos, en septembre 2012, du côté d'Orléans. Tout le monde se souvient que la défense s'était appuyée sur les violences subies par l'épouse, devenant subitement une icône des violences conjugales. Condamnée, elle bénéficia dun' exceptionnelle grâce présidentielle. A travers le personnage de Jeanne Moreau, Michel Embareck détricote tout cela. Et parce que l'on n'est jamais mieux servi que par soi-même, il met en scène un journaliste, Franck Wagner, retraité qui reprend l'enquête. Et de découvrir, par exemple, que de violences, il n'en a jamais été fait état dans une quelconque main courante. Encore moins de plainte officielle. Des abus sur les filles de madame Moreau ? Là encore aucune trace. Wagner va à la rencontre des gendarmes chargés de l'enquête, du frère de Jeanne, de l'avocat en première instance, des fonctionnaires du ministère de la Justice, "en suivant les sous". Car derrière l'assassinat du mari se cache aussi une cagnotte, un joli bas de laine, un peu percé par des investissements hasardeux. Et le portrait de la meurtrière devient d'un coup moins glorieux. "J'essaie de comprendre comment on en est arrivé à une telle escroquerie intellectuelle, comment une morale frelatée a pris le pas sur le droit."

On sent dans Trois cartouches pour la Saint-Innocent toute la colère de Michel Embareck pour un fait divers banal, transformé par la pression médiatique et digitale, en combat féministe. Ce ne sont pas les quelques changements de patronymes qui vont perdre le lecteur dans ce roman (bon Nick Karcher et François Corrèze, ce n'est pas super fin) et l'auteur ne se prive pas de dénoncer outre une manipulation de l'opinion publique, une manipulation politique. On se souvient que l'avocate en appel, maître Nathaie Tomasini, à laquelle Libération avait ouvert grand ses pages au moment du décès de Jacqueline Sauvage, s'était ensuite présentée aux Européennes... pour un score de 0,05 %. Michel Embareck, à la faveur de tous les témoignages, parvient très bien à dessiner le portrait d'une femme sans doute bien plus complexe voire plus caractérielle que ce qu'elle aura bien voulu montrer à la barre. Sans être une oeuvre de démolition, ses 216 pages restituent ce qui est sans doute plus proche de la réalité. Et pose l'éternelle question de l'émotion face au droit, de la pression populaire face à une décision de Justice. C'est tout sauf neutre dans une période finalement assez trouble sur ces enjeux.

Mais le roman possède tout de même queques petits accrocs. D'abord une fixation sur la météo. Et puis, contrairement aux préceptes d'Elmore Leonard, c'est d'emblée : "Le ciel s'est levé du pied gauche..." ! Poursuivant avec des "gouttes rebondissant tels des grains de riz... sous un ciel de baromètre détraqué... le soleil égraine ses postillons... le jour se lève d'humeur bancroche. " C'est sûr ce n'est pas la Méditerranée solaire, l'effet plombant est sans doute voulu mais la répétition alourdit sensiblement le propos. Le principal souci reste toutefois le personnage de Franck Wagner, une sorte de monsieur je-sais-tout, vieille carne du journalisme qui a tout compris, tout vécu et qui joue un air du "c'était mieux avant". Tandis que ce métier se vit parfois comme une leçon d'humilité, lui balance "vingt ans de ce régime, Wagner connaît toutes les ficelles. Il fait partie des meubles juqu'à être invité à un raout annuel absent de tout agenda et dont le lieu n'était communiqué qu'au dernier moment." Il y a un vrai écart entre cette France endormie, rurale, parfois un peu ringarde que Wagner traverse et son attitude presque méprisante. Un bémol certain donc pour un roman qui a l'immense qualité de déconstruire un mythe contemporain, de ne pas être politiquement correct et de remonter le fil d'une instruction.

Trois cartouches pour la Saint-Innocent, ed. L'Archipel, 216 pages, 18 euros
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