Littérature noire
6 Mai 2021
Jeanne est divorcée. Elle est l'amie de Louise, sa partenaire dans l'association environnementale Renverser la vapeur. Qui est en couple avec Carlos dont elle atend un enfant. Carlos est sage-femme et est un ardent défenseur du locavore, de la permaculture, il installe des poules sur un bout de jardin au coeur de Paris, entre trois plans de salades et deux autres de cornichons. C'est la vie des bobos bios. C'est l'amour aussi. Sauf que Carlos a un gros problème : depuis l'annonce de la grossesse de Louise, il n'arrête pas de parler, voire de hurler pendant son sommeil. A en devenir inquiétant. Et sa compagne, qui ne comprend goutte à l'espagnol natal de son chéri, demande à Jeanne, un coup de main. Louise l'enregistre donc la nuit. Puis envoie les enregistrements à son amie. Et les traductions sont curieuses, voire angoissantes : il est question d'un Gonzalez, de lui péter les dents, d'une Bianca, d'une Porsche, de Marbella... la situation devient tellement peu banale et stressante que les deuxcopines décident de s'offrir quelques jours de détente dans le sud de l'Espagne pour en savoir un peu plus.
Avec Faut pas rêver, son troisième roman, Pascale Dietrich conjugue les codes du polar avec ceux de la pure comédie. Et c'est simplement très réussi. Le personnage de Carlos, mystérieux, sa famille, tout aussi obscure, répondent, dans une seconde partie du texte, aux grands principes du roman noir, du roman de gangsters. Et à l'inverse de la première partie, le lecteur tombe là dans une réelle tension, une intrigue complexe qui contraste avec le début de l'histoire. Mais pour tout dire, ce sont ses pages initiales que l'on trouve les plus savoureuses. Et tout d'abord les retranscriptions des rêves de Carlos avec les pitoyables mais risibles tentatives hispanophones de Louise, censées relancer la discussion noctambule : " - Carlos : Tu rigoles moins maintenant, hein ? Bon sang de... Salopard. Je ne sais pas ce qui me retient. Te péter les dents, t'enterrer vivant, merde en boîte. Ta mère. Elle doit chialer depuis que t'es né. - Louise : Un café au lait s'il vous plait. Carlos : Hein ? C'est ça ouais, continue. Continue comme ça... Continue, moi au moins, je peux me regarde dans la glace. - Louise : Allons à la plage..."
C'est totalement délirant, un peu à l'image de ce que propose aussi Jacky Schwartzmann dans ses polars, et Pascale Dietrich convoque par ailleurs toute la science et médecine sur les rêves et les noctambules. On lui demande ainsi de noter elle aussi ses rêves et elle se souvient alors d'une nuit où elle masse Teddy Riner !
Mais il n'y a pas que cela. Il y a en parallèle tout ce petit monde écolo. L'auteure ne leur tape pas dessus mais elle s'amuse de leurs manies, de leur engagement à la limite de la sincérité (bon, allez prendre l'avion pour l'Espagne si c'est une fois, ça va). C'est très dans l'air du temps, c'est fin et jamais méchant.
Au final, Faut pas rêver se lit en un petit week-end avec un plaisir évident, une vraie gourmandise où Pascal Dietrich ne cherche pas de punchline mais bien des situations drôles, des quiproquos, dans une narration fluide, fraîche et maline. Le roman parfait pour décompresser.
Faut pas rêver, ed. Liana Levi, 202 pages, 17 euros