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The killer inside me

Littérature noire

Tourbillon : une murder ballad façon Shelby Foote

C'est un coup de latte dans les tripes ! Un grand roman américain. Grand roman tout simplement. Attention, ce n'est pas du tout une nouveauté. Tourbillon (Follow me down en VO) de Shelby Foote (1916-2005) est sorti en 1978 chez Gallimard, après avoir été publié en 1950 aux Etats-Unis. Pas de nouvelle traduction aujourd'hui, non, juste une version "révisée par Marie-Caroline Aubert". Et bon sang, ça valait le coup de travailler un peu le fond de cette collection.

Mississippi, fin des années 40. A Bristol, dans le comté de Jordan (précision, Bristol existe bien mais dans le Tennessee et le comté de Jordan est une pure fiction), on juge Luther Eustis, fermier de 51 ans, inculpé pour l'assassinat de la jeune Beulah Ross, avec laquelle il s'était enfuie de son foyer, abandonnant sa femme et ses deux filles, pour rejoindre une île sur le fleuve... C'est la fin du mois de septembre, il fait chaud et humide dans la salle du tribunal, Eustis risque la chaise électrique malgré une défense assurée par Parker Nowell, avocat redoutable. Il faut dire que le fermier a tout avoué, qu'il y a des temoins de sa fuite, que le corps a été retrouvé flottant avec du barbelé, des poids pour le couler.

On pourrait s'arrêter maintenant. Car c'est là que la narration devient aussi précieuse que l'histoire elle-même. Si le greffier est le premier narrateur, il est vite suivi du reporter, puis d'Eustis, de Beulah, de l'épouse d'Eustis du fils sourd de la voisine... et ainsi Tourbillon s'empare non seulement du fait divers mais de la vie de tous ces gens dans le Mississippi de l'époque. Mieux qu'une photographie, c'est un cours d'anthropologie sur les petites communautés de ce coin des Etats-Unis. Les mariages arrangés qui tournent au vinaigre, les filles prostituées par leur propre mère, le ramassage du coton jusqu'à ce que le dos se casse, les inondations. Et puis la religion. Ces églises évangélistes qui provoquent visions, transes, conversions soudaines. Eustis, toujours sa Bible sous le bras, est littéralement possédé par les paroles de l'Evangile. Il entend Dieu lui parler. Comme beaucoup à cette époque, dans ces campagnes finalement. Mais cela en fait-il pour autant un fou, un malade ? C'est notamment ce que va essayer de montrer son avocat.

Il est beaucoup question de solitude dans Tourbillon. Celle d'Eustis. Celle de Beulah. Celle de la malheureuse Miz Pitts qui a vu une moustache lui pousser après une sinistre opération. Des personnages qui recherchent une chaleur et une paix surtout, dans des vies tourmentées, éreintantes. Et parce que ce roman est un splendide réceptacle de thèmes forts et puissants, il traite bien sûr du Sud. Originaire de Greenville, Shelby Foote - qui est aussi, avant tout ? , l'historien qui a produit une somme de 1 000 pages sur la Guerre de Sécession - dans une interview à Paris Review, il y a plusieurs dizaines d'années, avouait tout son amour pour le Sud, assurant qu'il aurait combattu avec les Confédérés. Son roman s'offre donc un général de pacotille, tout comme une statue de soldat du Sud, "Devoir : le mot le plus sublime du langage, avait été gravé tout en bas, c'était une parole du général Lee, qui ne l'a jamais prononcée." Sans faire de comparaison prétentieuse, dans cette même interview, Foote dit tout le respect et l'admiration qu'il a pour William Faulkner (et Proust), racontant même le jour où il s'invita chez lui à Sewanee, au Tennessee, prémice à une amitié forte. Il est donc un authentique écrivain du Sud, marqué par le péché, la violence, un univers rural qui n'a rien d'amical. Et par instant, la folie religieuse, la violence des hommes de Tourbillon n'est pas sans renvoyer au roman de Donald Ray Pollock (homme de l'Ohio), Le diable tout le temps, dans ces scènes par exemple de prières fiévreuses au milieu des joncs.

Tout cela se doublant d'une prose d'une rare beauté pour décrire la simplicité de ces gens du Mississippi, leur labeur. Comme Eustis rentranr enfin chez lui, "la salopette couleur bleu ciel délavé m'a glissé sur les jambes, fraîche et douce comme de l'ombre. J'ai mis mes chaussures de travail dont j'ai noué les lacets. Maintenant, j'ai pensé en sentant de nouveau cette odeur forte et propre de savon jaune, je suis chez moi." Si on devait utiliser une image éculée, on pourrait écrire que ce roman est un magnifique blues du Delta, un truc à la RL Burnside, bien pêchu mais tellement poignant. Deuxième des cinq romans de cet auteur un brin oublié, Tourbillon est une merveille, de celle dont on va se souvenir.

Tourbillon (Follow me down, trad. Maurice-Edgar Coindreau et Hervé Belhiri-Deluen,  édition révisée par Marie-Caroline Aubert), ed. La Noire, 393 pages, 21 euros
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