Littérature noire
13 Mai 2021
" - Qu'est ce que tu ferais, toi, bourrin ? demandait Gamelle, qui connaissait la réponse.
- Avant de tuer, je m'amuse un peu avec le corps vivant. Après avoir tué, je m'amuse un peu avec le corps mort. Puis je prélève un petit souvenir, quelque chose qui ne prend pas de place : un clitoris, un anus. A la maison j'ai un petit nécessaire d'inclusion sous résine. C'est bien, je trouve, sur une étagère, une belle rangée de clitoris, une belle rangée d'anus. "
Amateurs de provocation bienvenus chez Un flic bien trop honnête. Mais attention, Franz Bartelt ne fait pas dans le Chuck Palahniuk, le sanguinolent, la baston. Non l'auteur de l'Hôtel du Grand Cerf est plutôt un punk de l'ORTF, plaçant encore une fois ses histoires, ses intrigues dans des villes de province, jamais nommées, jamais vraiment identifiables, en un temps oublié. Ici il y a un tueur en série clinique qui frappe d'un simple coup de couteau direct dans le coeur. Son tableau de chasse affiche 42 victimes ! Et l'inspecteur Wilfried Gamelle se désespère, affublé d'un adjoint cul-de-jatte, qu'il a baptisé Bourrin et qui ne lui sert strictement à rien, sinon à tracer des lignes sur des feuilles blanches. Si les ennuis professionnels ne suffisaient pas, Gamelle s'est fait abandonner par sa Justine, "elle l'attaquait à coups de vins, à coups de cigares, à coups d'apéritif. Elle sifflait des grands crus avec une désinvolture de camionneur." Cerise sur le gâteau, il a aussi de sérieux problèmes de créances. Alors, quand un aveugle, qu'il a, par erreur, étalé d'un coup de poing dans un autobus, propose son aide pour retrouver l'assassin, l'inspecteur ne refuse pas.
Un flic bien trop honnête regorge d'une ambiance surannée, d'un monde ancien, qui fleure bon le papier peint, le bar PMU et la Renault 12 Turbo. Bartelt laisse tout cela dans le flou et à l'imagination du lecteur, mais il sait y faire pour distiller ce vieux parfum façon France-Soir. Et si l'homme a de l'humour, ce n'est jamais pour le plaisir d'un calembour ou d'un bon mot mais bien du grinçant, du piquant, genre "il émane des policiers une odeur particulière, de bière, de sandwich au saucisson, de prostituée, de larmes aussi".
C'est diablement écrit et c'est là tout l'intérêt de ce polar puisque très vite le lecteur devine où il va être emmené. Il n'y a pas trente-six pistes, des contre-pieds et toutes les astuces imaginables du genre. Non, Franz Bartelt cherche vraiment à amuser son lecteur. Et ça marche fort bien. Les cinquante premières pages sont tordantes, inattendues. A l'inverse, la fin est un soupçon désarmante, pour ne pas dire décevante. Mais cela est loin de gâcher le plaisir de cette langue unique, troussée. "L'intérêt que la science porte aux pissotières ne doit pas occulter l'importance de l'abribus dans l'organisation sociale actuelle."
Un flic bien trop honnête, ed. Seuil, 193 pages, 17, 90 euros