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The killer inside me

Littérature noire

Dernière station avant l'autoroute : cet indémodable classique

"L'existence ne laisse le choix qu'entre la routine et le deuil. Je préfère le deuil." Quelle phrase de Pagan ! A défaut de résumer l'auteur, elle donne une image fidèle de son travail, de son oeuvre. Marqués par la mort, la douleur. Marqués aussi par une large dimension philosophique. Pagan pourrait ainsi être rapproché de l'existentialisme d'un Sartre, la fameuse théorie des salauds et des lâches. Mais quand il écrit, toujours dans Dernière station avant l'autoroute, "il allait bien falloir que je le fasse enfin mon voyage à moi, mon propre voyage quoi que ce soit au bout de ma sale nuit", c'est une autre couleur littéraire qui infuse. Et on songe aussi à Au coeur des ténèbres de Conrad, pour cette âme humaine si poisseuse, tellement damnée. Alors, quand sort Dernière station avant l'autoroute, à la fin du XXe siècle, salué par la critique, personne n'imagine qu'il s'agit de l'ultime roman de cet auteur avant vingt ans.

Aujourd'hui encore, ce chef d'oeuvre de la littérature noire conserve toute son énergie déprimante. Le narrateur est Divisionnaire de nuit à Paris. Peu apprécié d'une hiérarchie avide d'échelons, il fréquente autant les bistrots, que les indics, les filles de joie et la musique de Billy Holiday. C'est l'automne, il pleut en continu sur le pavé. Une prostituée black vient de se faire trouer un oeil par un gros calibre. Toujours accompagné de son fidèle Muppet, il se rend ensuite dans un hôtel pour le suicide d'un sénateur. Sur place, à côté du cadavre encore tiède, une enveloppe, contenant visiblement une disquette d'ordinateur (hé, on est en 1997 !) lui est adressée. Il l'empoche. La veuve, jeune et sexy Alex, est interrogée et même un peu plus par ce flic, pas forcément enclin aux sentiments. Pourtant, cette fille lui va bien. Ce qui va moins bien, c'est que des officines de l'Etat cherchent à mettre la main sur la disquette. Le Divisionnaire nie tout. Mais la pression ne faiblit pas. Fatigué de ce monde, de cette vie, il doit tout de même participer à un saute-dessus dans un immeuble de Ménilmontant où il ne manque que quelques centimètres pour qu'il se fasse trouer la peau. Puis c'est l'accident de la gare de Lyon, des heures à compter et fouiller des corps emboutis, des femmes, des enfants... Indésirable par ses chefs, il est muté de jour dans un commissariat. Boulot nouveau. Collègues nouveaux. Mais blues identique...

Dernière station avant l'autoroute est une merveille du noir français et du noir tout court. Polar qui répond à tous les codes, il offre par ailleurs de fantastiques scènes d'actions, que seul un ancien policier pouvait rendre aussi vivante. De même, les personnages féminins, outre la belle Alex, demeurent drôles, attachants, même si ce sont pour la plupart des travailleuses du sexe, capables dans une fellation, "d'aspirer le drap par le trou du cul "! Les Viviane, Charlotte, Zorah ne sont jamais dévalorisées, toujours traitées avec un respect touchant. On trouve, dans ce roman plus que dans beaucoup d'autres, ce lien fort Eros et Thanatos, le sexe comme purge, l'amour comme bouée. Même crevée. Même blindée de rustines. Et à propos de respect, Pagan, en revanche, n'en accorde guère aux pandores, tous lâches ou bêtes, ou les deux à la fois. Last but not least, il y a le style Pagan. Vocabulaire pétillant, images frappantes, il n'en fait surtout jamais trop, insère ici ou là un fragment de poésie, comme une façon de ne pas désespérer totalement de la vie. Souvent c'est pour parler de musique, à l'occasion d'un disque de Count Basie par exemple. Parfois, c'est sur une silhouette, fugace, "il avait des hanches minces et une démarche souple comme en ont les danseurs de tango. Les bons danseurs de tango les toréadors, ainsi que tous ceux qui, de près ou de loin, font de la mort leur fond de commerce."

Relire Pagan en 2021, c'est tout sauf du temps perdu...

Dernière station avant l'autoroute, ed. Rivages, 429 pages, 8, 50 euros, 
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