Littérature noire
4 Juin 2021
Libri Mondi broie du noir, c'est la déclinaison capcorsine du festival bastiais, mais, pour l'instant, sur une seule après-midi, ce samedi dès 14 h 30, dans la belle villa Saint-Jacques au cœur de Luri. Un seul thème : le polar. Invités : Antonin Varenne, représentant de la nouvelle vague, Caryl Ferey, valeur sûre du noir voyageur et Hugues Pagan, seigneur du genre, noble plume de l'obscure âme humaine.
Et justement, l'auteur de Dernière station avant l'autoroute, héritier des Céline et Conrad, est arrivé hier en fin d'après-midi de sa Charente-Maritime. Onze romans au compteur, un recueil de nouvelles, quasiment tout aux précieuses éditions Rivages, une palanquée de scenarii (dont la première saison de Mafiosa), une enfance dans la fureur de l'Algérie française, deux décennies comme inspecteur... à 74 ans, celui qui avait fait le tour de Corse en Dauphine 1080 à la fin des années 60, a des choses à raconter. (photo @Raphaël Poletti / Corse-Matin)
Dernier ouvrage paru, en 2018, Dernières nouvelles du front. D'où sortent ces nouvelles ?
C'est un recueil de textes que j'avais publié à droite, à gauche depuis le début de ma carrière. J'ai eu pas mal de copains qui me demandaient des nouvelles calibrées à 30 ou 40 000 signes. C'était des nouvelles d'humeur le plus souvent, parce qu'il y avait un truc qui m'embêtait. C'est mon nouveau patron de Rivages qui m'a demandé ce recueil et le deal dans ces cas-là c'est de proposer une nouvelle inédite. Du coup j'en ai fait une sur les CRS. Et, quand le bouquin sort en septembre 2018, mon éditrice me dit "quand même tu y vas fort sur les CRS..." Trois mois plus tard, il y avait les manifestations de Gilets Jaunes et ce qui s'est passé autour, je l'ai rappelée et je lui ai dit "alors qu'est-ce que tu en penses maintenant de ce que j'ai écrit" !
Oui. Il était patron en second de la division où j'étais inspecteur divisionnaire. Une fois je sors de mon service, de nuit, et j'entends "ouaaah... au secours" ! Je me retourne et je vois deux jambes qui sortent d'une benne à ordures. Il était saoul comme une vache, ses hommes l'avaient mis là. Quand j'écris je me pique d'avoir des archétypes, mon flic Schneider en est un et puis il faut des crétins complets comme Yobe-le-mou. Je l'ai vu certains matins au commissariat, j'étais devant mon café, mon croissant, lui, était effondré sur la table, déjà ivre. Une autre fois il avait tabassé par terre devant moi une grosse mamma black que l'on avait ramassée. C'était radical pour moi.
J'ai manqué de chance parce que Dernière station avant l'autoroute a été remarqué par un producteur de cinéma qui ensuite m'a demandé de faire des séries télévisées. Le ratio est simple : un bouquin 20 000 balles, une série 200 000. C'est tout. Je ne suis pas vénal mais c'est beaucoup d'argent. Pourtant Profil perdu a été écrit un mois après Dernière station. Mais il n'était pas mûr. Il a eu une destinée bizarre. Je l'ai filé à Guerif (François, fondateur de Rivages), il voulait me le prendre mais il m'avait égaré les dix dernières pages ! Et je l'ai alors repris de A à Z.
(silence) J'ai été un peu étonné par la floraison d'auteurs, de maisons d'édition. Mais ça ne va pas loin. A l'étranger, il y a des types formidables comme le papa de Robicheaux, James Lee Burke, même si on sent une lassitude... il faut savoir pourquoi on écrit. Si c'est pour être tête de gondole en grandes surfaces, pourquoi pas ? Je ne méprise pas ça. Et puis il y a le petit artisan, qui fait tout maison. Bon, y a moins d'artisanat mais il y a cette floraison de talents éphémères.
Je me suis longtemps demandé si j'étais un policier devenu écrivain ou un écrivain devenu policier. Je sais maintenant que je suis un écrivain qui a fait un stage dans la police. Ne serait-ce que pour aller au fond des choses, parce que en criminelle, le fond des choses, ce n'est pas rien. Il y a une phrase de Céline que j'aime beaucoup, "ce que l'on recherche dans toute sa vie, c'est le plus grand chagrin possible pour devenir soi-même avant de mourir." C'est comme une question de métal : quand on s'est trempé dans certaines flammes, on ne peut pas faire des petites merdouilles. Le vrai succès, c'est quand on se réveille à trois heures du matin, en se demandant c'est quoi cette phrase qui m'obsède et de la mettre sur le papier et de la tester en se réveillant. C'est un p... de travail épuisant. Il y a deux choses qui m'ont ému. Une dame qui est venue un jour dans un festival, "c'est vous monsieur Pagan ? Je voulais vous remercier. Un jour je n'étais pas bien et par hasard, y avait un de vos bouquins qui traînait je l'ai lu et je me suis sentie mieux." Croyez-moi ou pas c'est une de mes plus belles récompenses. Il y a ça et le fait que je sois Chevalier des Arts et des Lettres. C'est la reconnaissance des pairs.
Non, je ne suis pas Dieu. C'est impossible. Mais on peut l'approcher. Ce qui est tragique c'est que l'âme humaine est en deuil mais elle n'est pas sombre. Un jour, j'avais fait pour un copain un film sur le SAC et il m'appelle pour m'insulter, en me disant ce type-là tu l'as rendu sympathique, mais je lui ai dit, en tout homme il y a quelque chose de sympathique.
Le dernier écrivain musicien français, il faut l'écouter chanter, il faut l'écouter jouer de l'accordéon, c'est Céline. Mon style à moi, c'est le jazz, c'est le blues, cette scansion. Quand j'écris un truc, j'attends le rythme, j'essaye de faire coller le texte avec ça, avec une tessiture, ça, c'est très difficile et on y arrive pas à tous les coups. La musique est une grosse partie de mon écriture. Dernière station, j'ai mis trois ans pour l'écrire.
Parce que les mecs sont des c... ! Je les ai entendus en garde à vue. Les femmes sont victimes d'un pouvoir phallocratique. A l'inverse de certaines société celtiques qui fonctionnaient sous la forme de matriarcat.
Il y a des choses qui me réveillent la nuit. Mon père était officier, on avait fait une ouverture de charnier, j'avais dix ans. La brillante armée française avait ramené sur le terrain de foot où j'habitais un halftrack avec du bois sec... mais non, c'était des fellagas zigouillés par l'armée française et ils avaient laissé les corps jusqu'au soir, avec tous les gens autour qui pleuraient. Et nous, les gosses, on était là. Parce les enfants à cette époque se baladaient partout. J'étais beaucoup trop jeune pour encaisser ça. A huit ans, ils m'ont mis une grenade dégoupillée dans la main en me disant s'ils approchent tu la lâches ! Pour ne pas tomber entre les mains du FLN ! C'est traumatisant. Je suis un schizophrène stabilisé par l'écriture, J'ai toujours eu ces deux côtés, l'action et la réflexion. Quand on a quitté l'Algérie, mes parents m'ont littéralement exfiltré, on a atterri in fine à Vesoul. Qu'est ce que vous voulez y faire à part travailler ? Il n'y avait plus les copains, plus l'ambiance. Je pense que ça m'a évité de me retrouver six pieds sous terre ou derrière les barreaux. Mais on était un certain nombre de 15-18 ans comme moi.
J'ai ma femme. Et une soupape de sécurité géniale : l'écriture. Même si c'est épuisant. C'est une forme de thérapie, absolument. Je suis persuadé que ceux qui utilisent des moyens violents contre eux ou contre d'autres sont des personnes qui n'ont pas les moyens de lâcher la vapeur.
Le prochain est déjà chez Rivages et il s'appelle Le carré des indigents. Il sortira en janvier 2022. C'est un gros bébé. L'écriture de scénario c'est de côté, j'en ai marre. Un bouquin je me prends la tête, je suis tout seul dans mon bureau et je règne sur tout. Le scénario passe par le producteur, la ou les chaînes, l'équipe technique...
Certainement pas, je ne suis pas d'extrême droite. Je me rappelle il y a vingt ans, je disais à mes collègues que les flics étaient à 40% Front National. On me disait tu exagères, il y a des Républicains. Aujourd'hui ils sont à 60 %. J'aimerais parler autrement d'eux, mais ils sont comme ça. Ce sont des faits. Ce qui est grave c'est que je crois qu'il n'y a plus de freins, ils ne sont plus encadrés par des officiers dignes de ce nom. Ils sont en roue libre. Un policier s'est pris une condamnation, il devrait être révoqué, mais ce n'est toujours pas le cas. Ils ont un sentiment, fondé, d'impunité. J'ai fait partie de l'Usine, je sais ce que c'est. À l’époque un inspecteur à la criminelle avait au minimum le bac et de temps à autre une licence en droit. Maintenant on peine à trouver des gens qui ont le certificat d'études. Le niveau de recrutement n'a jamais été aussi bas. On a une érosion du service public.