Littérature noire
5 Juin 2021
Personnage incroyable, Gypsy Rose Lee (Rose Louise Hovikc, 1911 - 1970) a révolutionné le spectacle de strip-tease dans l'Amérique de l'entre-deux-guerres au point d'être surnommée La Vénus de Broadway, pour sa plastique certes, mais aussi pour son humour, sa façon cool de s'effeuiller. En 1941, elle publie Mort aux femmes nues, en partie aidée par Craig Rice, journaliste et auteure de romans policiers. Une pure intrigue à énigmes, un wodunit d'un grand classicisme qui vaut évidemment par les détails d'un théâtre de la fin des années 40 à New-York.
Gypsy, Dynamic Dolly, La Verne, Mandy, Gee Gee, Jannine, Alice, sont les vedettes d'une célèbre revue, de l'Old Opera, salle tenue par HI Moss. Les rivalités vont bon train bien sûr, les commérages aussi, tout comme les disputes pour les quelques hommes, accessoiristes, machinistes ou même comédiens qui peuplent les lieux. Et justement, Dolly et La Verne ont les mêmes intentions sur Russell, le jeune premier, plutôt "beau gosse". Alors, quand La Verne est retrouvée étranglée derrière une porte pendant une grosse fête dans le théâtre, la police oriente son enquête vers Dolly. A peine le temps, de sécher leurs larmes et les filles découvrent que c'est la princesse Nirvena, nouvelle comédienne que Moss impose, qui trépasse dans une caisse du spectacle, la "boîte de Gaeeka". L'enquête prend une autre direction.
Entre le vaudeville et Agatha Christie, Mort aux femmes nues, qui ressort ce mois-ci toujours dans la version co traduite par Léo Malet, navigue des loges aux plateaux du théâtre, jusqu'aux cintres et aux bars de nuit tout proches. Les femmes entrent, les hommes sortent, on se chamaille, on refait le cours des soirées tragiques et on accumule les indices, les fausses pistes... et les strings à paillettes. Habile, le roman slalome entre une douzaine de personnages sans perdre le lecteur. C'est vrai que c'est aussi une forme de témoignage de l'incroyable vitalité de cette scène newyorkaise, de son culot, de sa créativité. La littérature de cette époque ne se penchait qu'à de rares exceptions sur les aspects sociaux ou politiques de ses personnages. Ici est privilégiée la langue mais aussi l'énergie, le rythme. Frénétique, Morts aux femmes nues a le charme de cet âge d'or de l'entertainment américain. Et pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur cette éblouissante Gypsy Rose Lee, il y a ce reportage de Life.
Mort aux femmes nues (The G String Murders, trad. Michel Le Houbie et léo Malet), ed. Le Masque, 272 pages, 9, 10 euros