Littérature noire
30 Juillet 2021
Franck Sharko a tout juste trente ans et vient d'intégrer la Brigade criminelle du 36 quai des orfèvres. Un soir où il s'abîme les yeux aux archives sur l'affaire des disparues du sud parisien, il intercepte en sortant un homme en possession de la photo d'une femme ligotée à un lit. Il alerte son chef Brossard. Lui, le "bleu bite" comme il se surnomme, va alors tomber dans une enquête vertigineuse. De serrures traficotées en cultes vaudous, en passant par des doubles identités, Sharko va avancer, balloter aussi par un commissaire Santucci ayant pris la suite d'un Brossard destitué. Lui, le petit jeunot va battre le pavé, essayant aussi de composer avec sa toute récente vie amoureuse. Une première victime dans un état catatonique, amochée par des drogues, une deuxième torturée... l'assassin est vicieux mais semble tourner autour d'un ancien service pédiatrique aux méthodes contestées.
Franck Thilliez est un technicien hors pair. Avant tout parce qu'il sait donner la chair nécessaire à son héros. Franck Sharko prend littéralement vie dans les pages de 1991, le lecteur le suit dans ses tournées, est à ses côtés pour son premier café du matin, lorsqu'il se fait bousculer par sa hiérarchie, ou bien quand il doit avancer dans une pièce habitée par un mamba noir en liberté. Thilliez a trouvé un personnage épais en humanité, ni fanfaron, ni pleutre, et il l'anime comme personne. Si on était pinailleur, on pourrait trouver que Sharko se remet incroyablement vite de son empoisonnement quasi mortel. Mais bon. C'est la loi du thriller. On n'attend pas six semaines de rémission. Il faut que ça avance. Et c'est le cas. Le lecteur peut quasiment marquer sur un carnet chaque jour de cette fin d'année 1991. Le roman fait 498 et il n'y a pas une baisse de rythme, pas un moment de belote ou une rêverie post single malt. Bien sûr que les hardcoreux du polar trouveront cela un peu too much, pas assez social, pas assez psychologique, trop irréaliste. Encore une fois, c'est le modèle du thriller et dans ce genre, Thilliez est un monarque. Pour folle que soit l'histoire, elle tient debout aussi parce que l'auteur connaît les procédures policières sur le bout des ongles. C'est droit, c'est carré, ça ne souffre pas d'une incohérence. Et comme il sait aussi ce qu'attend le lecteur, il y a quelques scènes bien tendues. En filigrane, il est question de genre, de petites filles élevées comme des petits garçons, de personnalités refoulées, niées.
Efficace, Franck Thilliez a réussi à rajeunir son héros et surtout il le plonge dans une époque, il y a trente ans, qui parle forcément à son lectorat, avec donc un effet miroir intéressant, loin des technologies, des analyses sur ordinateur. Ce petit aspect vintage, à base de minitel, de fax et de Renault 21, a assurément de beaux jours devant lui.
1991, ed. Fleuve Noir, 498 pages, 22, 90 euros