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The killer inside me

Littérature noire

" Ce Nord-là, la mine, j'ai envie de l'écrire "

Même sans être un grand lecteur de Franck Thilliez, les chiffres de vente de cet écrivain originaire, et habitant, du Nord de la France, interpellent. On parle de plus de 700 000 livres vendus en 2020. De 7 millions de livres écoulés depuis ses débuts. Pour le dernier, "1991", le premier tirage dépassait les 100 000 exemplaires. C'est incontestablement une star du roman noir et du thriller. Et quelqu'un d'incroyablement disponible malgré ce statut. Rencontre à Quais du Polar, à Lyon, entre la poire et le fromage.

Quand vous décidez de retrouver Sharko trente ans plus tôt avec 1991, c'était pour lui offrir une seconde jeunesse ?

C'est un peu ça. Et c'est remonté des lecteurs, que j'écoute beaucoup. Parce que c'est eux, en quelque sorte, qui contribuent à son destin. Dans Luca, il y a deux ans, Sharko était un peu en retrait, un peu vieillissant. Les lecteurs me l'on dit. Pour le redynamiser, il fallait revenir en arrière et en même temps cela comblait un vrai manque : on ne connaissait pas son passé. Je l'ai créé en 2004, il avait 44 ans, il a ensuite grandi. Mais ce qui s'est passé avant, on ne le savait pas. Quand j'ai imaginé Sharko, je le voyais de toute façon comme un quadragénaire, dans un mélange de clichés et d'influences.

Est-ce que vous craignez que votre personnage vous échappe ? La réaction des lecteurs si jamais Sharko par exemple devait disparaître ?

Je me pose la question. Et d'autres me demandent, qu'est-ce que vous allez faire de lui ? Est ce qu'il va prendre sa retraite ? Es-ce que vous allez le tuer ? J'aime beaucoup ce personnage mais j'ai la chance d'écrire d'autre romans, disons une fois sur deux j'ai une respiration. Donc je ne suis pas 100% prisonnier du personnage. Mais c'est vrai que les lecteurs sont parfois directifs. Conan Doyle après avoir tué Sherlock Holmes, l'a fait revenir parce que son public manifestait. D'un autre côté, je suis ravi parce que ça veut dire que Sharko est entré comme un personnage fort du polar. Il n'y en a pas tant que ça.

1991 aborde le thème du genre, à travers un petit garçon élevé comme une petite fille. C'est particulièrement d'actualité et vous vouliez en parler ?

Il y a eu comme ça, aux Etats-Unis, une histoire véridique de jumeaux dont l'un a été transformé en fille, avec un chirurgien convaincu de la théorie du genre. Dans 1991 je voulais un fond sociétal pour dire que cette question était déjà en débat, il y a trente ans. Heureusement, il y a eu une évolution sur ces questions du genre, du droit de la femme, de l'humain. Même s'il y a encore beaucoup de travail, rappelons-nous que l'homosexualité était déclarée maladie mentale un an avant !

Il y a trois lignes, dans ce dernier roman, sur l'émission Apostrophes avec Matzneff. Trois lignes seulement mais on sent l'écoeurement du personnage...

Le problème c'est que cela paraissait normal à l'époque. Et aujourd'hui on sent le fossé. C'était important de glisser cette petite touche. Et mon personnage féminin, s'il a ce caractère, c'est parce qu'à cette époque pour s'imposer comme femme flic il fallait une personnalité un peu hors du commun.

Cette fois vous développez une enquête sans les téléphones portables, sans les ordinateurs. Mais avec le minitel ! Dur exercice ?

Oui. Mais c'était génial. Parce que dans le polar finalement, la technologie devient très vite envahissante. On est pris au piège de tout ça. C'est obligé. Pour être réaliste. Mais pour tout dire ce n'était pas facile à gérer parce que cela entraînait forcément une lenteur dans le rythme de l'enquête alors qu'habituellement chez moi, ça va très vite. Mais d'un obstacle, j'ai essayé d'en faire une arme narrative. Comme lorsque Sharko, parce que Twitter n'existe pas, va faire du porte à porte pour chercher des témoins.

Il y a une ou deux scènes dans votre Nord natal. Et on regrette presque que vous ne vous y attardiez pas plus longtemps.

C'est toute mon enfance. Chaque dimanche on allait chez mon grand-père maternel qui vivait dans les corons puisqu'il faisait le pain pour les mineurs. Il était embauché par l'entreprise minière, dans un logement avec les mineurs. On se retrouvait donc tous, cousins, cousines, pour ce repas hebdomadaire. Et oui, il y a beaucoup de moi dans Sharko. Je parle d'une affaire criminelle, l'affaire de Bruay, en 1971, mais c'était énorme à l'époque. Peut-être que dans le Sud on en parlait moins mais chez nous, le meurtre de cette ado, Brigitte Dewevre, avait eu un écho terrible, du niveau quasiment du petit Gregory. Parce que ça n'a jamais été résolu. J'ai donc grandi avec cette affaire qui a traumatisé des générations. En plus c'était la période de fermetures des mines. Il y a eu beaucoup de choses écrites dessus. Mais, éventuellement, je le ferais à ma manière. Ce Nord-là, la mine, j'ai envie de l'écrire.

Le roman fonctionne avec Les fleurs du mal. Mais outre Baudelaire, vous glissez quelques références littéraire, dont Zola bien sûr. C'est pour répondre à Télérama qui avait fait preuve d'un peu de mépris en 2018 ?

Je n'ai pas spécialement pensé à eux mais, oui, je trouve ça bien dans la littérature populaire de mettre une base de classique. Et puis Les fleurs du mal m'ont vraiment marqué, je les ai relus et ça reste d'une noirceur rare. C'est important d'assumer ses influences. L'affaire de Télérama m'avait surpris parce que lorsque Pierre Lemaître, auteur, au départ, de polars, a eu le prix Goncourt, j'ai eu le sentiment que le genre avait gagné en estime. Mais en creusant un peu, ce n'était pas que mon nom soit visé qui me choquait mais que Télérama s'en prenne à une lectrice ! A quelqu'un qui lit. Quel que soit la lecture, c'est bien. Un libraire se plaignait qu'avec le pass culture, les gamins achètent des mangas. Mais les jeunes ne vont pas ouvrir naturellement du Balzac, alors qu'ils ouvrent un manga c'est déjà un pas.

Vous avez écrit Pandemia en 2015, autour d'une grippe ravageuse. La fiction a toujours un temps d'avance sur l'actualité ?

Il y a eu une similarité troublante. Mais le polar est de la fiction, pas de la science-fiction, sur le monde d'aujourd'hui qui est truffé d'événements qui peuvent se produire. Les pandémies on sait que tous les siècles il y en a deux ou trois Depuis l'aube des temps. C'est comme ça. Mon idée c'était : oui, c'est possible. Et qu'est-ce qui se passerait ? Entre guillemets, je n'ai rien inventé. J'ai contacté sérieusement des virologues, qui m'ont parlé des plans de pandémie prévus pour les grippes et ces informations très techniques, il fallait les intégrer, les vulgariser.

Vous vous intéressez aux sciences, vous êtes ingénieur, pourtant on vous sent très méfiants sur les nouveaux développements.

Il y a de plus en plus des hommes fortunés ou de pouvoir qui peuvent développer leur propres science. Je pense à Bezos, le patron d'Amazon ou Elon Musk. Ils sont très intéressés par le transhumanisme, les recherches sur l'immortalité. Et j'ai le sentiment que la science sort un peu de son cadre au service de l'humanité, pour servir seulement quelques-uns. C'est inquiétant. Larry Page, l'un des fondateurs de Google, est fasciné par le transhumanisme et il a monté sa société Calico, dans ce sens.

Vous étiez ce jour-ci sur le tournage de l'adaptation en série du Syndrome E, avec Vncent Elbaz entre autres. C'est euphorisant ?

Le projet sur le Syndrôme E existe depuis 2011. Il a été pris, repris. J'ai écrit une quarantaine de pages de documentation et il se trouve que cela n'avançait pas donc j'ai laissé tomber et un autres scénariste s'est attelé à la tâche. Je n'interviens plus. En revanche, j'ai table ouverte pour me rendre sur les plateaux comme je l'ai fait ces dernières semaines. J'ai vu travailler Vincent Elbaz et j'ai été vraiment heureux de voir à quel point il faisait vivre Sharko, jusqu'à porter des lentilles de couleur. Je suis content parce que c'est TF1 et donc il y a des moyens financiers. Aujourd'hui tout va vers les séries télé, simplement parce que les comédiens trouvent qu'il y a moins de risques que dans le cinéma. Quand on me contacte pour écrire c'est uniquement pour de la série télé. Mais je ne me laisserai pas avaler par le petit écran. J'écris Alex Hugo mais dans une forme d'équilibre, sans que ce soit envahissant. J'ai la chance d'avoir du succès avec mes romans et donc on vient me chercher pour un scénario et on me dit « fais ce que tu sais faire ». C'est un vrai luxe.

Dans vos romans, on sent le respect pour les forces de l'ordre. A l'inverse d'une littérature polar qui pointe les abus ?

J'ai la chance de les connaître, de les avoir vus au travail, de savoir les hommes qu'ils sont. J'ai pu visiter le commissariat de Toulouse et ce sont des personnes qui croient tellement en leur métier, en leur mission. Je les défends toujours. On ne montre que la mauvaise facette, les moutons noirs qu'il peut y avoir comme partout. Je les admire. Au début, je n'étais pas très précis dans mes romans et puis des policiers, lecteurs, sont venus me voir, m'ont invité à une séance de tirs, à une visite, voire à des perquisitions avec le PSIG.

Photo copyright Audrey Dufer

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