Littérature noire
19 Juillet 2021
Douzième aventure des flics cyniques Harpur et Iles, L'inspecteur est mort précède Le big boss, dernière enquête traduite dans nos contrées et qui date déjà de 2016. Bill James a pourtant continué sa série - avec entre autres un Panicking Ralph qui semble réjouissant - mais Rivages jonglant avec les parutions de sortie n'a pas donné suite.
Dans l'attente, et comme cet auteur gallois (92 ans le mois prochain) reste encore un peu dans l'ombre, il y a une tripotée de polars à découvrir ou redécouvrir. L'inspecteur est mort peut être un excellent départ pour ces enquêtes toujours si près du terrain mais avec un humour noir rare, une irrévérence tellement britannique.
Le scénario est simple : Oliphant Kenward Knapp tenait tout ou presque le trafic de came de la ville (on ne sait jamais où l'on est, sinon près de la mer). Horton et McCallion croyaient pouvoir être les héritiers. Mal leur en a pris. Ils se sont faits descendre par Claud Beyonton et ses comparses. Sauf que le jeune Keith Vine, associé des deux victimes, a tout vu et balance à Harpur. Lors du procès, quelques mois plus tard, la défense de Beyonton réclame la présence du mouchard à la barre. Harpur refuse. Non lieu. Pour Colin Harpur c'est la douche froide. Pour l'Adjoint au chef de la police, l'impossible Desmond Iles, c'est le signe que "l'inspecteur est mort". Qu'il n'y a plus la possibilité de faire son métier honorablement désormais. Pour coincer Beyonton et sa bande, les deux policiers vont attendre que ceux-ci s'en prennent à Keith Vine. Lequel va bientôt être papa avec la belle Becky.
Un roman de Bill James c'est d'abord, et heureusement, une mécanique bien huilée; L'homme a été journaliste (pas que ce soit la panacée mais tout de même...), il connait un peu la rue et il sait aussi raconter des histoires. Chaque personnage a son ressort psychologique, Desmond et Iles évidemment, coureurs de jupons, colériques, machiavéliques, provocateurs. Et puis Lane aussi, ce chef de police qui se promène en chaussettes dans les couloirs ! Sans oublier les différents petits voyous du coin, chacun a droit à sa fiche précise, détaillée. Qui couche avec qui. Qui déteste qui.
Mais le sel des romans de Bill James, entre Westlake et Joe Lansdale, c'est cette vision de la société, dans laquelle, finalement, les bons ne gagnent pas toujours. Enfin pas avec les armes "légales" : "Iles et le Chef redoutaient tous deux que le mal généralisé n'ait commencé à triompher, qu'on ne soit plus en mesure de l'arrêter". Dans le polar suivant, on se souvient qu'Iles ira jusqu'à imaginer une alliance avec les caïds pour parvenir à ses fins ! Rien dans ce monde ne paraît solide, fiable. Que ce soit la Justice. Ou les femmes. Dans L'inspecteur est mort, Desmond Iles s'en prend, en pleine discussion collective sur la suite des opérations, à un jeune inspecteur lui reprochant d'avoir couché avec sa femme pendant des semaines. Les conquêtes féminines, dans une attitude tellement macho, demeurent le contrepoids de cette ambiance criminelle, mortifère. Et cet échange entre les deux flics apporte un peu de légèreté au contexte : "Vous avez remarqué la manière dont Deloraine me regardait au Monty ? demanda-t-il (Iles) doucement. Vous voyez de quelle fille je veux parler ? Celle qui a Console moi tatoué dans le blanc de l'oeil, dix-huit ans environ. - C'était incroyable. Dans ces regards, quel appétit. Mais bien plus en fait. Elle implorait une vrai lien spirituel aussi, chef. - Ah ! Vous avez perçu cela. Je pense parfois que vous n'êtes pas aussi stupide que tout le monde le pense Harpur..."
On rit, c'est vrai. Mais on se régale d'un polar très britannique, sans violence inutile, avec nombre de dialogues travaillés au crochet, de situations tendues et aussi un vrai fond d'humanité avec cette Becky, véritable phare de raison dans ce marasme masculin.
L'inspecteur est mort (The detetcive is dead, trad. Danièle Bondil), ed. Rivages, 321 pages, 9, 50 euros