Littérature noire
18 Août 2021
En ce matin d'été, Marc Villard est installé au comptoir du Mercure du centre de Lyon, plongé dans ses pensées, il tourne son café machinalement. A 74 ans, dont quarante d'écriture, en naviguant de la poésie au roman en passant par la nouvelle et le scénario de bandes dessinées, l'homme a écumé tous les festivals de littérature de France et de Navarre. Alors ce n'est pas la machine bien huilée de Quais du polar qui l'empêchera de goûter son premier expresso du dimanche, un œil sur L'Equipe du jour. Mantra quotidien.
Car on l'oublie un peu vite mais cet auteur, publié à La Série Noire, Baleine, Néo, L'Atalante, Joëlle Losfeld, La Manufacture de livres, a écrit une nouvelle sur Maradona, dans La fille des abattoirs (Rivages, 2016). Il parle même, brièvement, du Sporting Club de Bastia dans le roman à quatre mains, La mère Noire écrit avec Jean-Bernard Pouy (La Série Noire, 2021)." J'ai joué au foot au Stade de Reims en 1958, lance-t-il de sa belle voix claire. A l'époque c'était Robert Jonquet lui-même qui nous entraînait. Quand on est revenus sur Paris, j'ai continué. Puis je me suis mis au basket. J'ai gardé cette passion du jeu, du match. Les coulisses, je m'en fiche, mais ce qui se passe sur le terrain, ça oui, j'adore. "
A Lyon, ce gaillard à la crinière immaculée, est venu notamment participer à une table ronde sur le thème " polars de quartiers ". Lui, le romancier de Barbès, le poète du pavé. "Les cafés arabes tirent leurs rideaux, laissant échapper un dernier raï de Cheb Mami, voire un truc bidouillé au synthé de Sahraoui et Fadela qui cassent la baraque chez les moins de trente ans. Des étamines de néons s'essoufflent sur les façades : la nuit amnésique cadenasse le quartier..." (La porte de derrière, La Série Noire)
"Je n'ai pas vraiment habité Barbès. J'étais rue Lamarck dans le 18e. Mais je traversais tout Barbès, de jour comme de nuit, pour aller chez mes amis qui habitaient Château Rouge. Et c'est vrai que dans ce quartier, tous les vingt mètres, il y a une fiction. Par le biais de l'immobilier, les autorités ont essayé de gentrifier les lieux mais ça ne marche pas vraiment, les gens ont encore un peu de mal à s'installer là, il y a encore du crack qui circule. Le roman noir original, celui des années 30, c'était pour parler du monde qui va mal. Moi ma fibre était sociale, C'était celle de Horace Mc Coy. Hammet était plus politique. Chandler était... pas grand-chose mais il faisait de très bons livres. J'ai conservé ce regard social, cette volonté de raconter la difficulté à vivre des gens toujours un peu à la marge."
Il pose ses mots sur des éducateurs de rue, des femmes du Samu social, des filles mises au tapin, des femmes épuisées. Comme Véro, toujours dans La mère noire : "elle n'est pas vraiment amoureuse de Tintin mais la vie lui pesait. Chaque matin, elle sentait comme un poids sur ses épaules. Fatiguée de vivre, comme on dit. Trop d'habitudes. Trop de tout." La prose de Marc Villard, c'est une pierre noire aux mille reflets. L'homme sait trouver la lumière, l'humanité au milieu de la misère, de la crasse. Et puis il va à l'essentiel. Il n'est pas expéditif, il est fluide. En 100 pages ou à peine s'il est décidé à transpirer, il construit un début, une fin, dessine ses personnages, roule ses dialogues et emballe le lecteur. "Oui mais ça c'est aussi parce que ça fait quarante ans que j'écris, s'amuse-t-il avec une authentique humilité. Avant je faisais le beau, je mettais des adjectifs de partout. Pour trouver le bon mot, il faut des années. Pour moi la vraie difficulté serait d'écrire un roman de 300 pages. Déjà à partir de 160, j'agonise. Mais tout cela c'est parce que je viens de la poésie. Un exercice où il faut resserrer, enlever le gras. J'en ai écrit pendant dix ans."
Sans surprise, parce qu'il est une fine lame du genre court, il prend, en 2010, la tête d'une collection de novellas, baptisée Polaroïd, aux belles éditions In8. Une trentaine de titres. Que du bon. Comme cet inoubliable Cannisses de Marcus Malte (prix Femina 2016), ou encore le No More Natalie de Marin Ledun ("voilà un auteur qui arrive à écrire des pavés de 600 pages et des nouvelles !"), sans oublier Rose Royal de Nicolas Mathieu (prix Goncourt 2019).
Jeune, abandonné par un père "crétin", élevé par un beau-père avec lequel il n'a pas "d'atomes crochus" mais également par une mère réellement aimante, Marc Villard sort de l'école avec son seul BEPC. Pas maladroit avec un crayon ou un pinceau, il intègre la fameuse école Estienne, spécialisée dans les arts graphiques, du côté de la place d'Italie.
C'est là-bas, pour approcher l'univers du livre, qu'il se penche sur ses premiers poètes. Allen Ginsberg, Lawrence Ferlinghetti, Bob Kaufman. La beat generation. Pourtant, diplômé avec succès, il va d'abord s'essayer à la peinture. Peu concluant. Sur le chemin du service militaire, vers l'Allemagne, il emporte stylos et carnets et commence à rédiger des poèmes. A son retour de l'armée, alors que les maisons Rochas et Givenchy l'embauchent comme graphiste, il poursuit l'effort et publie un premier un recueil à compte d'auteur. Puis les éditeurs le remarquent. "Oh ce n'était pas facile. J'étais un peintre contrarié qui s'est reporté sur un mode de création assez semblable, parce que finalement, en poésie, on fait un peu ce que l'on veut, ce n'est pas structuré comme un roman. Moi, pour mes romans, j'ai toujours un plan. Même petit. Parfois je prends des libertés dans l'histoire mais, avant, j'ai posé des plots."
Dans le paysage du polar, il paraît décalé, en conservant quelque chose du poète, dans le regard doux, le soin de son apparence. "C'est quelqu'un d'atypique, confirme l'éditrice Joëlle Losfeld. D'une grande élégance dans sa manière d'être." Un dandy alors ? "Oui, confirme son ami de quarante ans, l'auteur Jean-Bernard Pouy. Mais il peut aussi dire des grossièretés. Je l'ai déjà vu s'énerver, faut pas croire. On se dispute quelquefois, gentiment, surtout sur la musique. Maintenant il ne jure que par le jazz !"
Depuis qu'il a déménagé dans le quartier des Halles, Villard joue, il est vrai, les oiseaux de nuit dans les clubs du quartier, Caveau de la Huchette, Sunset et autres. S'il a écrit sur le rock dans Le monde la musique, aujourd'hui il se tourne presque exclusivement vers le jazz. Désespéré de ne pas trouver de deuxième ou troisième souffles dans la musique binaire. "Je suis un enfant de l'après-guerre. Toute la musique américaine était bonne à prendre, jazz ou rock. J'achetais Bill Haley comme Sidney Bechett. Mais maintenant je m'éclate dans les clubs à écouter de nouveaux musiciens comme Vincent Peirani, Anne Paceo ou les Belmondo. J'aime bien aussi le manouche, des gars comme Stochelo Rosenberg. Dans ce style, les guitaristes sont rapides mais, lui, il fait sonner chaque note, c'est assez prodigieux. Romane aussi est bon. Mais c'est moins mon style. " Homme d'art complet, il a écrit des romans inoubliables sur la musique : Le chanteur de jazz, La guitare de Bo Didley, Bird.
Le jazz il en était question dès son deuxième roman chez Rivages/Noir, La vie d'artiste (160 pages tout juste), en 1993. François Guérif, fondateur mythique, de cette glorieuse maison se souvient sans problème de leur première rencontre : "je ne le connaissais que de nom, j'étais très impressionné par son talent et voilà que l'on se retrouve pour une émission sur une radio libre, aux alentours de Paris. C'était chez un particulier, l'animateur n'avait pas préparé son émission et on a fait l'émission tous les deux. Notre amitié a démarré comme ça. Pour moi, Marc Villard est sans nul doute le maître la novella noire. Rarement j'ai lu des textes aussi ciselés. J'ai de l'admiration pour lui, également par sa façon de mener sa carrière d'écrivain, qu'il a voulu conduire à sa façon, en prenant des risques et avec une liberté totale."
Photo by Mantovani@Editions Gallimard