Littérature noire
27 Août 2021
Jean Mary Townsend a tout juste 21 ans lorsqu'elle est retrouvée morte le 15 septembre 1954 dans un terrain vague de south Ruislip, à une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Londres. Visiblement étranglée par son foulard, sans autre forme de violences, mais avec ses sous vêtements pliés jus juste à côde son corps. La découverte du corps fait grand bruit, ce meurtre est à la Une de la presse locale. Pourtant, plus de soixante ans après, aucun coupable n'a été amené devant un jury. Cela reste un mystère.
Habitant de South Ruislip à cette époque (il avait huit ans), le londonien Fred Vermorel a voulu en savoir plus. Avec le secret espoir de lever une piste six décennies plus tard.
La dernière balade de Jean Townsend est ainsi sa longue quête d'informations à travers le tissu professionnel mais aussi familial, amical de la victime. En voulant consulter le dossier d'enquête, l'auteur s'est vu opposer une fin de non recevoir : "ce dossier est confidentiel et ne peut être consulté... contient des informations personnelles et sensibles, susceptibles de grandement troubler et compromettre une personne vivante ou ses descendants. " Comment une jeune fille, presque banale, sans histoire, et sa mort peuvent-elles susciter tant de secrets au XXIe siècle ? De quoi attirer la curiosité. Et c'est donc une plongée dans le Londres de la nuit des années 50 que propose Vermorel. D'abord avec le club que fréquentait Jean Townsend. Le Londoner, lieu chic et gay, ou l'inverse, des nuits de la capitale, est tenu par un couple d'homosexuels, financé par Dennis Stafford, caïd connu pour ses évasions notamment. Et tout le gratin s'y précipite : le chanteur Johnny Ray, Rock Hudson, l'actrice Shani Wallis, la fille de Churchill aussi, Sarah, mais aussi la princesse Margaret sans oublier "le colossal John Bindon, acteur et compagnon de route de la pègre, connu pour s'adonner quand il faisait la fête, à un jeu tout à fait particulier consistant à faire tenir six demis de bière sur son pénis en érection..." Homos et hétéros se retrouvent donc, là, à l'abri des regards. Mais Jean Townsend est présente aussi parce qu'elle est l'assistante du grand couturier Michael Whittaker. Il est celui qui, par exemple, dessina la combinaison tout en cuir de Diana Rigg dans Chapeau melon et bottes de cuir. Un phénomène sulfureux, baptisé Mr Fashion.
Ainsi Fred Vermorel va retrouver et faire parler quelques vieux témoins de cette époque. Et évoquer aussi les pistes suivies par les policiers à ce moment-là. Le scandale de l'affaire Profumo croise ainsi parfois, la route de la victime. Il est question de soirées SM, de photos de nus, de quelques orgies.
En définitive, La dernière balade de Jean Townsend se révèle frustrante parce qu'il s'agit avant tout de dessiner ce qu'était Londres et l'Angleterre des années 50. Plus que d'un décor, l'auteur fouille les ressorts de la mentalité anglaise de ce temps-là, l'après-guerre, la base américaine toute proche de Ruislip, la traque des "pervers sexuels" par Scotland Yard. Faute de dossiers, d'infos à creuser, Vermorel en est rendu à des considérations sociologiques. Mais le plus gênant sont sans doute toutes ces notes de bas de page, rendant la lecture difficile. Quasiment des chapitres pour expliquer des détails parfois sur deux pages... C'est fastidieux.
Sonatine a publié l'an passé Dévorer les ténèbres, autre enquête, plus exotique, au Japon, mais surtout plus carrée et avec beaucoup plus de "biscuits". Plus BBC aussi. Alors que Fred Vermorel, on le connait, entre autres, pour son livre sur les Sex Pistols, est un auteur plus attaché sans doute aux environnements, aux petites histoires. Et d'ailleurs on regrette de ne pas en savoir plus sur la princesse Margaret, apparemment une sacrée bonne femme, mais aussi sur le prince Philip, connu pour ses frasques.
La balade de Jean Townsend (Dead fashion girl, trad.Paul Simon Bouffartigue), ed. Sonatine, 447 pages, 23 euros