Pourquoi moi ? : Dortmunder avec la police et la pègre de New-York aux fesses

Publié en 1983, alors que Westlake affiche cinquante ans, Pourquoi moi ? est le cinquième opus de la série Dortmunder. Mais l'auteur de Brooklyn a déjà sorti plus de 70 romans sous son nom, celui de Tucker Coe, Richard Stark, Edwin West et Alan Marshall. Et malgré ces milliers de pages écrites, Westlake parvient encore à s'amuser, à s'éclater même. Dans la hiérarchie des Dortmunder, beaucoup placent Pourquoi moi ? sur le podium. On les comprend.
Comme d'habitude, le point de départ est improbable. Au moment où Dortmunder braque nuitamment une obscure bijouterie  de seconde catégorie appartenant à un Grec quelconque, un joyau inestimable, le Brasier de Byzance est volé par une équipe qui dépose justement cette bague dans le coffre de la bijouterie. Quelques minutes avant que Dortmunder ne le force. L'astuce de Westlake, c'est que, en premier lieu, notre héros ne va pas se rendre compte, et pendant plusieurs jours, de l'importance de son larcin "comment une vraie pierre de cette taille aurait-elle pu s'égarer dans une petite boutique de quartier ?"
L'autre idée de génie de l'auteur, c'est de mettre bien plus que les forces de police aux trousses du voleur :  tout un tas de groupuscules orientaux ou moyen orientaux, en tous les cas armés, qui veulent récupérer la pierre. Parce qu'il y a là, c'est vrai, un problème diplomatique : les Américains étaient en train de rendre cette bague aux autorités turques ! Donc le FBI, avec deux fédéraux coincés et hilarants, mais aussi le chef de la police de New-York, avec son énorme ventre et son adjoint noir et gay, vont filer le train à tous les braqueurs de la ville. Enième ressort de ce roman, avec des gangsters qui sont empêchés de "travailler" par les descentes de police. Et c'est le monstrueux Tiny, masse de muscles, qui décide une chasse à l'homme parmi ses semblables.
Pourquoi moi ?, regorge de scènes à hurler de rire, comme celle où Dortmunder ne parvient pas à lever la bague de son doigt et est embarqué par la maréchaussée. Il y a aussi ces moments avec son ami Andy Kelp, dont l'enthousiasme pour les nouvelles technologies de téléphonie, dont un répondeur :, laisse Dortmunder de marbre. Et puis il y a l'inspecteur-chef Francis Xavier Maloney, patron de la police newyorkaise : "dans la grande ville de New-York, on ne devient pas super flic en s'asseyant sur ses talons et en crachant entre ses genoux; non, monsieur. Dans la grande ville de New-York, on devient super flic en restant debout, en alerte, les poings prêts à l'action, et en rétamant la gueule à tous les tarés qui essaient de faire du barouf, crénom de nom."
Donald Westlake s'est toujours beaucoup amusé avec ses personnages, sans jamais se lasser ni se prendre au sérieux. Il fait ici montre d'une maestria incroyable, l'air de rien, avec presque une facilité confondante. Du pur bonheur.

Pourquoi moi ? (Why me ?, trad. Sophie Mayoux), ed. Rivages, 314 pages, 8 eurs