Alexandra Schwartzbrod : " les Russes, en Israël, ne sont pas très à gauche..."
1 Septembre 2021
Rédigé par Christophe Laurent et publié depuis
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A la lecture des Lumières de Tel-Aviv, on se demande comment naît ce récit d'anticipation extrêmement noir ?
Tout simplement, j'ai regardé ce qui se passe en Israël et dans les Territoires palestiniens. J'ai voulu me projeter vers ce que cela pouvait donner si les dirigeants israéliens continuaient à se conduire comme ils le font aujourd'hui, ces dernières années sous Netanyahou qui a fait, je pense, beaucoup de mal aux Palestiniens évidemment mais aussi à Israël. Parce que c'est une politique suicidaire, il emmène son pays dans le mur. Il y a effectivement, comme le dit Human Right Watch, une forme d'Apartheid avec des territoires palestiniens morcelés, contrôlés par les Israéliens. C'est terrible pour l'image du pays. Mais aussi pour son avenir. Netanyahou avait une vision à court terme, intéressé uniquement pas réélection prochaine, rester au pouvoir. Il se moquait des Israéliens et ils ont fini par le comprendre en l'éjectant en juin. C'est en plus un homme corrompu et c'est aussi pour ça qu'il voulait être réélu, pour l'immunité.
Vous imaginez une alliance avec les Russes ? C'est de la science-fiction ?
Il y a beaucoup de Russes en Israël. Un peu plus de 20% de la population. Des juifs qui ont émigré à l'époque de l'URSS. Et d'autres, plus récemment, qui ont fui la misère de la Russie actuelle. Les Russes en Israël, souvent, ne sont pas très très à gauche... et même à droite de la droite. J'ai été notamment inspiré par Avigdor Lieberman, ancien ministre de la Défense sous Netanyahou, désormais ministre des Finances, et qui est carrément un homme d'extrême-droite, qui a un jour dit qu'il fallait mettre tous les Palestiniens dehors. Et puis il y a la loi sur l'Etat Nation, de 2018, qui fait du citoyen arabe, un citoyen de seconde zone, alors que normalement Israël est une démocratie avec des citoyens censés être égaux... je me suis donc demandé vers quoi allons nous ? Mais ce n'est pas totalement pessimiste puisque dans mon roman, les laïcs, essayent de se regrouper à Tel-Aviv pour rebâtir le projet initial totalement dévoyé, en y incluant cette fois les arabes. Dans la société israélienne les laïcs sont plus nombreux qu'on ne le croit mais ils sont tétanisés. La gauche israélienne a été laminée par des gens comme Ehud Barak ou Shimon Peres qui leur a répété que l'on ne pouvait pas discuter avec les Palestiniens, qu'il n'y avait pas de paix à conclure. Mais il suffirait qu'un homme ou une femme émerge à gauche, même si le terme gauche ne veut rien dire là-bas, il y aurait quelque chose à faire. Le problème aujourd'hui, c'est la médiocrité du personnel politique israélien comme palestinien.
Comment Les lumières de Tel-Aviv a-t-il été perçu en Israël ?
Il n'est malheureusement pas traduit en hébreu, j'aimerai bien. Mais les francophones qui l'on lu l'ont bien reçus. J'ai fait un débat à la librairie française de Jérusalem et il y avait vraiment de l'enthousiasme. On m'a ensuite invité dans des médias juifs, radios ou autres, en France, ce qui laisse penser qu'il y a une prise de conscience sur la politique du pays.
Vous faites référence dans le roman à Theodor Herzl, pionnier du sionisme. Comment Israël s'est éloignée de son esprit ?
Quand Ben Gourion a fondé Israël, il n'imaginait pas du tout que les religieux puissent un jour prendre la place qu'ils ont maintenant. Ils étaient minoritaires et il n'était pas question qu'ils aient une place importante dans le nouvel Etat. C'est au fil du temps qu'ils se sont imposés. Herzl reste une figure du pays, le père fondateur et d'ailleurs il y a une grande statue entre Tel-Aviv et Haïfa. Mais le projet initial a été dévoyé. Aussi parce que le problème palestinien n'a été considéré que lorsque la communauté internationale s'en est mêlée. Et puis la colonisation est une plaie qui nourrit la haine et empêche toute création d'un état palestinien. Le territoire palestinien est un gruyère, sans aucune continuité. Enfin l'assassinat d'Yitzhak Rabin a été un tournant. Et Netanyahou a fait partie de ceux qui ont incité à ce geste. Je suis pessimiste pour l'avenir des Palestiniens. J'ai peur que le monde les passe par pertes et profits. Les pays arabes n'en ont rien à faire, ils privilégient les relations économiques avec Israël. C'est honteux.
Vous poussez très loin comme votre collègue Dov Alfon dans Unité 8200, la technologie de surveillance, d'interception. Le pays reste un puissant laboratoire de défense ?
Les Israéliens sont à la pointe c'est clair. Et les Américains sont pas mauvais aussi dans ce secteur. Mais c'est vrai qu'Israël mène des recherches très poussées. La technologie militaire est leur grand savoir-faire. Tout ce qui est infra-rouge, drones, est devenu presque commun. Les drones ont un travail de surveillance, pour les mouvements de foule, les villes. C'est très répandu et j'ai peur qu'un jour les drones puissent réellement tirer. Dans Les lumières de Tel-Aviv, les hommes en noir, les religieux, peuvent s'adonner à la prière paisiblement, puisque les drones, avec les Russes s'occupent de ce boulot. On est dans la politique fiction bien sûr. Mais je l'ai commencé il y a six ans ce roman et je me rends compte, en 2021, que, oui, tout cela pourrait bien se produire.
Est ce qu'écrire une fiction sur Israël c'est aussi un moyen de dire ce que l'on ne peut pas dire dans Libération ?
Non. C'est avant tout un énorme plaisir. C'est comme si toute la journée j'emmagasinais des infos, des faits, de l'actualité et, que toute la nuit ça mouline dans mon cerveau et le lendemain j'ai envie d'en faire des histoires, que cette matière soit mise à taille humaine, que chacun puisse se projet, dans le Palestinien, la mère palestinienne qui perd un enfant sur le check point et puis cette peur que l'on peut ressentir. Ou bien l'amour. Et c'est ce qui est difficile dans un article où l'on donne les faits. Eventuellement son opinion, dans un éditorial. Mais raconter des histoires ce n'est pas possible, c'est le contraire du journalisme. En revanche, en tant que romancière, c'est du bonheur.
Le 14 juin, dans Libération vous avez signé un édito pour saluer autant le départ de Netanyahou que l'arrivée de Bennett ? Ce dernier n'est pourtant pas un saint...
On m'aurait dit il y a quelques années que je me féliciterai de l'arrivée de Bennett, je n'y aurais pas crû. En, fait on était tellement soulagé de voir Netanyahou battu, que l'on a tous été ravis de l'élection de Bennett. Et pourtant il incarne ce que j'exècre puisqu'il est le chef des colons. Et vous savez ce que je pense des colonies... Mais l'espoir c'est cette coalition, avec des gens biens dont la leader travailliste, et aussi Yair Lapid, un homme intéressant qui est censé alterner avec Bennett, et puis des gens du journal Haretz. Je suis persuadé qu'ils ont conscience d'avoir eu chaud aux fesses avec la politique précédente. Que Netanyahou était capable de déclencher une guerre juste pour rester au pouvoir. J'ai l'impression, mais je peux me tromper, que chacun va faire un pas en direction de l'autre. En tous les cas je me refuse à penser que c'est foutu pour ce pays.
Avant les heurts de ce mois de mai, on parlait finalement peu de la situation des Palestiniens...
On en parle que lorsqu'il y a une crise ! Mais entre les crises, la situation continue, dans une forme de crise mais à bas bruit. Le grignotage des terres palestiniennes peut ainsi se poursuivre tranquillement, sans que personne ne voit quoi que ce soit ? J'encourage tout le monde à aller sur place parce que tant que l'on n'a pas connu un passage de check point, vu une colonie israélienne au sommet d'une colline, le village palestinien en bas et les champs d'oliviers palestiniens que les colons arrachent pour les empêcher d'avoir leur gagne-pain. Tant qu'on ne s'est pas baladé à Hebron, cette ville palestinienne où vivent, retranchés, au cœur, des centaines de colons israéliens qui se promènent dans la cité avec leurs fusils, qui squattent les maisons palestiniennes, investissent les étages, laissent le rez-de-chaussée au Palestiniens et leur balancent leurs poubelles. On n'imagine pas. Ce qui est étonnant lors de cette dernière crise, c'est le soulèvement des Palestiniens d'Israël. Eux se sentent frères des Palestiniens mais resteraient en Israël si un Etat palestinien était créé. Pourtant en mai, ils se sont rebellés contre les juifs. C'est une première.
Vous êtes adjointe à la rédaction de Libération, on annonce depuis des décennies la fin de la presse papier et pourtant vous sortez encore en kiosque. Comment ça s'explique ?
Je vais être honnête, la vente papier continue à décliner. En revanche on s'est énormément battus sur le numérique et Dov Alfon y a énormément contribué, du coup on a de supers bons résultats sur ce support. Tant que le papier continue d'exister je n'y vois aucun problème. Ce qui me ferait mal c'est le jour où il y aura si peu d'acheteurs papier qu'on soit obligés d'arrêter. Mais on en n'est pas là. En tous les cas, le numérique, je l'ai intégrée, j'aime les deux. Ce qui est formidable c'est de faire vivre le papier et le numérique, longtemps. Ce sont souvent deux publics différents. Comme il y a deux publics pour l'information. Il y a toujours un lectorat qui cherche du fond et qui le trouve dans les médias traditionnels, avec des enquêtes, des reportages. Et c'est aussi parfois encore ce public qui ne peut s'empêcher de regarder les chaînes d'info en continu. Comme moi d'ailleurs. On ne peut pas s'empêcher. L'un n'empêche pas l'autre.
Les actionnaires de journaux ou de télévision sont souvent pointés du doigt. Votre patron était Patrick Drahi, propriétaire de SFR, de BFM , et il a créé pour vous une fondation indépendante. Comment cela se passe-t-il ?
C'est magnifique. On est libres. Mais sans filet financier. C'est-à-dire que la fondation a été créé avec un fond et on doit faire hyper gaffe à nos dépenses, aux piges. Nous nous auto finançons donc il faut être très vigilants. On a des alertes qui se déclenchent au moindre problème. Vis à vis du public qui pense, parfois juste à titre, que nous appartenons tous à des milliardaires qui sont là pour faire passer des messages, la fondation permet de couper l'herbe à ses critiques. Il y a une défiance de plus en plus grande envers les journalistes comme les politiques. C'est important de passer en fondation. Mais nous n'oublions pas aussi que Patrick Drahi nous a sauvés ! On était aux portes du tribunal de commerce. Et c'est quelqu'un qui n'est jamais intervenu dans l'éditorial. Parce que de toute façon le lecteur s'en serait aperçu.