Littérature noire
7 Septembre 2021
La littérature noire tricolore se pique désormais d'humour et d'humour noir le plus souvent. Sur les pas de Franz Bartelt ou Jacky Schwartzman, voici Félix Lemaître et son premier roman, La combinaison.
A Saint-Fossé, au coeur de la Picardie, Christian vient de perdre son job d'animateur commercial dans les supermarchés. Le type, ou la femme, qui vous tend un morceau de fromage, de saucisson, et vous fait, comme on dit, l'article. Au XXIe siècle, c'est sûr que ce n'est plus très glamour. Soutenu par son épouse et son fils, qui le vénère, il balance des CV, s'inscrit sur Linkedin. Mais rien n'y fait. Christian chôme. Un matin, un livreur lui remet un colis : la combinaison de plongée qu'il avait commandée pour des vacances programmées aux Antilles. Et là, c'est le déclic. Plutôt le court-circuit. Christian, mixant parano et schizophrénie, est persuadé que ce monde, cette société, vont être ensevelis, noyés. Lui, aura sa combinaison. Et il va la garder nuit et jour. Evidemment, madame n'est pas enchantée.
Oui La combinaison est un bon moment. C'est drôle, avant tout, c'est méchant aussi. On se délecte de ces piques. "Pour Christian, c'est une terre maudite, comme on en voit dans ces films d'heroic fantasy. Et le voilà, à Saint-Fossé, à préparer des betteraves à la vinaigrette. Aujourd'hui il sait que si à la saison haute tout le département louffe, c'est à cause de l'eau à l'intérieur de ces machins. Il sait aussi, il l'a vu sur France 3, que ça risque de ne pas durer, parce que l'Inde et le Brésil sont en train de remporter le marché. Magie de la mondialisation, les peuples se battent désormais pour sentir le pet..." Félix Lemaître se moque avec une belle acidité de ses semblables, les tourne en ridicule " ce qu'il y a de plus tropical dans leur vie, c'est l'Oasis que Clovis descend par hectolitre", " elle met invariablement les appels sur haut-parleur. Comme si ça les rendait plus réels. Aussi parce que ça peut lui laisser toute liberté de faire du parmesan de pied en frottant avec une râpe les peaux mortes de ses talons..." L'auteur maîtrise sa langue, s'en donne à coeur joie. Trop parfois. Comme s'il était plus concentré sur le bon mot, la blague savoureuse, que sur son récit. La recherche de la punch line masque un peu l'histoire. De même, les sentiments de Clovis pour son père paraissent confus. Il est vrai que le décor est bien planté, avec les parents d'élèves, les chasseurs du coin, mais la détresse de Christian passe au second plan. La combinaison remplit sa fonction de divertissement acide, en évitant de trop s'apesantir sur le déclassement social du personnage principal, ce qui donne au final une touche moins tourmenté au roman. Christian est drôle certes, dingue aussi. On voudrait le plaindre. Sauf que, bizarrement, non. Ce roman reprend en quelque sorte les thèmes de L'âme du fusil, la ruralité, le chômage, la folie, mais chez Elsa Marpeau, c'est plus lourd, plus sombre.
La combinaison, ed. du Masque, 209 page, 20 euros