Littérature noire
17 Septembre 2021
Une existence d'enfant, de la maternelle au bac, du début des années 60 au milieu des années 70. Vie rythmée par la lecture des bande-dessinées, par les circuits Scalextric, les petites voitures Matchbox, les épisodes des Envahisseurs ou Chapeau melon et bottes de cuir, les exploits de Saint-Etienne, les premiers émois amoureux, entre l'admiration pour un père distant, enseignant d'histoire-géo, et la tendresse d'une mère, un brin magicienne... sans oublier un petit frère, sérieux, doué.
Le Fils du professeur, le nouveau roman de Luc Chomarat, a la saveur évidente de la douce madeleine. Il redonne des couleurs à une France presque insouciante, celle de l'enfance bien sûr, celle des trajets en 2 CV, celle des boums. Dans un exercice très casse-gueule, à la fois souvenirs et véritable journal du narrateur, l'auteur s'en tire avec cette tendresse et cet humour qui lui sont propres. Qu'il évoque ses parties de cow-boys à faire le pistolet avec les doigts ou le jour où il marque enfin un but, il y a une franchise rafraîchissante. Mais l'envers de la pièce c'est aussi la gravité de la croissance, la prise de conscience d'un monde adulte pas forcément confortable. Il y a ce père, sorte de statue, qui se morfond pour l'avenir de son aîné ("je crois que j'étais comme tout ce qu'il avait fait dans sa vie. Pas assez bien"). Un père, passablement de droite, dans une profession qui ne l'est pas. Surtout, il s'agit d'une famille catholique et l'enfant va devoir se débrouiller entre les mots de la Bible, sagement appris au catéchisme, et ce qu'il voit de sa vie ("déjà le catéchisme je n'aime pas ce mot, j'aime des mots qui sonnent bien, des mots comme Mustang"). Et puis il y a la place à prendre, maintenant, de suite, dans la société des ados. Longtemps premier de la classe, ce garçon, que l'on imagine pour partie être l'auteur, se fait peu d'amis. Enfin, pas ceux qu'il voudrait. Il n'est pas invité aux fêtes. Alors, fréquenter une fille !
Derrière la légèreté d'un roman sur l'enfance, Luc Chomarat s'interroge sur ce que c'est que de naître tout simplement, dans ce qu'il appelle, "une famille normale" à Saint-Etienne. Sans les grands traumatismes, sans les éventuels divorces, sans le chômage d'un père, sans violence particulière. En creux, c'est une certaine France qui se dessine, celle des 30 Glorieuses, de mai 68 (de loin tout de même), des débuts de la télévision... une société où ses citoyens sont connectés naturellement, continuellement. Il n'y a pas vraiment de nostalgie. Juste une tonne de tendresse. Et de l'humour. "Je crois que tout le monde joue au flipper parce que c'est une assez jolie métaphore de l'existence, on ne récupère jamais sa mise de départ, et aussi habile qu'on soit, on est toujours perdant. Et pourtant, quand toutes les lumières s'allument, quand les compteurs tournent et que les parties claquent, il y a toujours quelqu'un pour tourner la tête et vous regarder comme si c'était incroyable, et à ce moment-là, nous sommes persuadés d'être immortels..." Ou encore, "son fils aîné venait d'intégrer une école de commerce. Ils en parlaient comme si le malheureux garçon était entré en maison de correction. - Qu'est-ce qu'il va devenir ? se lamentait l'infortuné collègue. Ils vont lui apprendre à vendre de la lessive. - C'est probable, disait mon père."
Le Fils du professeur évite l'écueil du roman aux teintes sépia, au discours attendu du "c'était mieux avant". C'est un regard dans le rétroviseur, avec un sourire en coin et un oeil malicieux. Luc Chomarat a l'élégance d'un meilleur ami, celui qui ne vous laissera pas vous embourber dans une mélancolie collante, qui se souvient parfaitement des joies mais aussi des déceptions. Oui, c'est un roman d'initiation. Mais à coups d'extra-ball, sur la selle d'un 103 et en compagnie de David Vincent.
Le fils du professeur, ed. La Manufacture de livres, 265 pages, 19, 90 euros