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The killer inside me

Littérature noire

Luc Chomarat : " je n'ai pas envie d'emmerder le lecteur"

Touche à tout de la littérature, Luc Chomarat était ce week-end à Bastia pour la 5e édition de Libri Mondi. L'occasion d'une rencontre avec un homme à l'humour affûté.

 

Qu'est-ce qui vous a poussé à prendre ce virage, si intime, si personnel, dans ce nouveau roman ?
Le premier confinement m'a beaucoup déprimé. Je me suis dit, " tiens il y a des choses qui ne seront plus possibles, le monde va devenir plus compliqué ". Cela a déclenché quelque chose de nostalgique. Cela nous a tous poussé à réfléchir sur nous-mêmes. Mais ce n'est trop loin non plus du protagoniste du Polar de l'été. Il y a des liens entre mes différents romans même si ils sont parfois invisibles. Il y a des échos. Le petit garçon du Fils du professeur dit qu'il vit dans une famille normale, encore faut-il s'entendre sur ce que cela veut dire, mais pour lui c'est forcément la seule enfance que l'on peut avoir. Al Pacino sur son enfance disait "on était très pauvre mais on ne le savait pas". Aujourd'hui, avec les réseaux sociaux, c'est sans doute plus difficile de penser comme cela, parce que nous avons très tôt accès à d'autres réalités.

Comment écrire sur son enfance sans verser dans la niaiserie ?
Personnellement, je me relis très peu, je me corrige très peu. L'idée, c'est d'arriver à se souvenir. Se remettre dans ce contexte d'enfant, dans cet esprit, quand on ne se disait pas que notre vie était spécialement triste, gaie ou mignonne : c'état juste la vie. Il faut retrouver ses baskets là, se positionner à cette hauteur. A ce moment-là, on n'a pas la complaisance que l'on peut avoir quand on est adulte. C'est un peu comme lorsque l'on s'adresse à un enfant : il n'y a pas de raison de lui parler comme s'il ne comprenait rien.

Dans Le Fils du professeur, ce père, enseignant pèse à quel point sur le jeune narrateur ?
Un professeur c'est un peu un père au carré. C'est quelqu'un qui sait. On a déjà tendance à penser que son papa sait tout, si en plus il est prof et qu'il a une tendance, quand il s'adresse aux gens, à leur faire cours... en face de ça, il est compliqué de se situer, de trouver son identité, de se construire intellectuellement. C'est une difficulté particulière. C'est notre histoire à tous : comment dépasser son père. Ou le rattraper. C'est très freudien mais je crois que c'est vrai pour les petits garçons. Bien sûr, dans le livre, il y a des choses forcément ressenties. J'ai pris des souvenirs personnels parce que je voulais que ça sonne vrai. Quand on a eu plusieurs histoires d'amour on peut en inventer une. Une enfance on en a eu qu'une. Et c'est sans doute l'expérience la plus forte de notre vie. Donc oui, j'ai eu un circuit de voitures électriques. Mais j'en voulais un depuis tellement longtemps ! Sauf qu'à cette époque mes désirs n'étaient pas très écoutés. C'est vrai que les enfants n'avaient pas, à cette époque, la place qu'ils ont aujourd'hui. On était des choses qui arrivaient, presque des accidents. Si j'écris que "personne ne faisait attention à nous", c'était un avantage et un inconvénient.


Ce dernier roman voit un père qui lit beaucoup. Un jeune frère également. Pas le narrateur. Vous avez fait un rejet étant enfant ?
Cela fait partie de ma relation à mon père pour qui tout passait par les livres. Je refusais de lire les livres qu'il faut lire. Je lisais des BD, je regardais la télé, je ne pouvais pas lire du tout et c'était un vrai conflit entre nous. Je ne me suis mis à lire que lorsque j'ai quitté la maison. Donc j'ai lu tardivement. Et comme les choses sont toujours ambigues, j'ai fini par écrire des livres. J'ai donc reconnu un certain héritage. Mais toutes les vies sont comme ça : on est né dans tel endroit, dans telle culture, de telles personnes. Ce sont nos bagages. Il faut à la fois se révolter contre tout ça, en se disant c'est ma vie, et en même temps, c'est stérile de ne pas se servir de ce que l'on nous a donné de bien.

Le Fils du professeur grandit avec la seule télé comme écran. L'hyper connexion aux écrans, cela vous interpelle depuis plusieurs romans ?
C'est toujours pareil : quand on est libre de quelque chose, rien n'est grave. Lorsque que quelque chose arrive sur le plan technique, ce n'est ni bien ni mal. Le seul problème, c'est l'usage. Maintenant, avec les téléphones portables, je constate que je parle à des gens qui regardent leurs téléphones. Si on devait sortir un film réaliste ou néo-réaliste, les personnages se parleraient sans se regarder. Un ado privé de son téléphone pendant 24 heures, il le vit comme une amputation. Je me suis aussi rendu compte qu'avec le GPS, on ne peut plus se perdre... c'est dommage. Parce que si tu ne peux plus te perdre, cela signifie que tu ne peux plus trouver ton chemin ! Personnellement, j'étais un accro à la télé et ça rendait mes parents fous parce que même s'il faisait beau, je passais l'après-midi devant des émissions, des films. Et à 25 ans, ma télé a explosé. Je n'en avais plus. Comme je n'avais pas l'argent de suite, je n'en ai pas racheté... au bout de trois semaines, je me suis aperçu que j'étais très bien. Et je m'en suis passé pendant 20 ans. Je travaillais dans la pub et je n'avais pas de télé ! Ce qui est important c'est de pouvoir être libre de ces technologies. Et un être humain en 2021, c'est deux bras, deux jambes et un téléphone. Je ne sais pas ce que cela va donner plus tard... mais j'aimerais juste que les gens autour de moi lâchent un peu leurs appareils. Attention, je me méfie de la nostalgie. Mais regardez, il n'y a plus de lettres d'amour ! Plus de cartes postales ! Cela faisait partie des petites joies de la vie.


Le polar de l'été, Un petit chef-d'oeuvre de littérature, Le dernier thriller norvégien... est-ce de l'ironie sur ce monde du livre ?

Non. C'est même le contraire. Dans Le thriller norvégien, où la littérature est considérée comme un absolu, au même titre que les autres arts, elle est aussi un business, du monde de l'édition. Et vis à vis de ça, oui, j'ai une certaine ironie parce que je vois bien comment ça se passe. Malgré les apparences, je traite de sujets assez graves et je préfère que ce soit un peu drôle. Un trou dans la toile, c'est sur la part de liberté qui nous reste dans ce monde numérique... ce n'est pas très marrant. Le dernier thriller norvégien c'est sur la disparition éventuelle de l'écrit, sur un monde qui devient totalement numérique. Je préfère en faire une fantaisie. Et puis, pour être franc, je n'ai pas envie d'emmerder les lecteurs !

Après le succès d'Un trou dans la toile, Grand prix de littérature policière, vos lecteurs s'attendaient à vous voir creuser cette veine du polar...


J'aime bien tout. Quand on rentre dans une librairie, il y a des rayons polars, science-fiction, littérature générale, développement personnel... chez moi, dans les étagères, c'est en vrac. Les genres, c'est du marketing. Ce qui m'intéresse c'est si le bouquin est bon ou pas. Pour écrire c'est pareil. Là, j'essaye d'écrire un bouquin sur mon chien. Sur les animaux. Je vais dire un gros mot mais je trouve que c'est une démarche capitaliste de mettre une étiquette, de trouver une catégorie. C'est moins vrai au cinéma, parce que les gens s'intéressent aux acteurs ou aux réalisateurs qui font souvent un peu de tout. La littérature est plus marketée. Crimes et Châtiments devrait être au rayon alors ! C'est là-dessus qu'a été pensé la série Colombo.


Sur votre précédent métier dans la publicité, que l'on croise dans plusieurs romans, pourquoi être aussi dur avec ce milieu ?
C'est le monde du travail du général. Qui n'est pas si simple. Sinon il n'y aurait pas de chômeurs. Bien sûr, je manie le cliché comme lorsque j'écris sur la coke en passant à des personnages que j'ai connus. Ce n'est peut-être pas de bon ton de dire ça mais c'est un métier que j'ai beaucoup aimé, qui m'a beaucoup appris. On n'en connaît que les clichés. Et quand j'ai vu la série Mad Men, qui se passe pourtant dans les années 50 aux Etats-Unis, je me suis dit que c'était assez juste de ce qui se passait dans une agence.


Ces premières lignes, "J'ai pris le tramway pour sortir de la ville...", vous vous en souvenez ?


La mort viendra, petite ! Le roman de Jim Thompson que j'ai traduit pour Rivages en 1988. Thompson, c'est vraiment un grand. Je connaissais Guérif (fondateur de Rivages) et il m'avait confié ça. Je trouvais ça tellement mythique d'avoir traduit Thompson. Et dans ce bouquin, son héros a, c'est rare chez lui, cette part de lumière, c'est une histoire assez tendre pour une fois, tout en gardant l'âpreté de ses autres textes. Je n'ai pas continué la traduction parce que j'avais commencé à travailler dans la pub et j'avais besoin de ce contact social. La traduction, c'est plutôt solitaire. Et je ne pouvais pas forcément en faire un métier.


Vous avez écrit sur le cinéma, fait une préface pour un essai sur Richard Fleischer. Le scénario ne vous a jamais tenté ?
Ce ne sont pas des mondes aussi poreux que l'on pourrait le croire. Ce la ne me déplairait pas. Y compris pour des raisons économiques. Mais il y a une question de délais bien différentes, entre une écriture et une mise sur écran, il peut se passer cinq ou six ans. Mon cinéma c'est comme les livres, j'ai envie de dire que j'aime les bons films, sans genre spécial. J'aime Ozu, Tarkovski, ou Argento, Friedkin, Carpenter. Je viens d'aller voir Bac Nord, j'ai trouvé ça formidable. Si le cinéma français commence à faire des films pareils !

 

copyright photo Lelia Crastucci

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