Littérature noire
10 Novembre 2021
En cinq romans, William Boyle a construit une oeuvre à la frontière du roman noir et du roman de société. Cinq romans qui se répondent, se croisent et La cité des marges n'y échappe pas. On retrouve ici le fameux bar The wrong number, de son premier titre paru chez Rivages (Gravesend), des personnages comme le jeune Mikey qui ressemble au Jimmy de Tout est brisé et puis Dona, lointaine cousine de Rena dans L'amitié est un cadeau à se faire. Mais quoi de plus normal pour un auteur qui a choisi de raconter son Brooklyn. Alors oui, le lecteur replonge dans ce village d'Italiens (Boyle est un Giannini avant d'être un Boyle !), ses femmes très solides, volcaniques parfois, et leurs problèmes avec leurs fils ou avec leurs maris parfois mêlés à de sales trafics.
Dans La cité des marges, une fois de plus, les femmes sont au coeur du récit. Il y a Antonina, lycéenne aux cheveux rose, qu'un vieux flic ripou prend sous son aile. Il y a Ava, veuve qui héberge un fils loser et qui va tomber dans les bras de Donie, une crapule du quartier. Il y a Dona, dont le fils s'est suicidé il y a quelques années, l'ex de Donie, qui elle va s'amouracher du jeune Mikey. Et puis donc Rosemarie, la mère de Mikey, dont le mari a été assassiné par Donie pour une dette...
C'est un puzzle que propose William Boyle. Un puzzle qui se monte en quasiment 24 heures, ajoutant chaque pièce au fur et à mesure des pages. Les amours se forgent en même temps que le drame s'avance. Le tout basé sur une omniprésence des dialogues. Pour certains, cela peut paraître un brin too much mais on ne se refait pas : quand on est Italien, on parle, c'est comme ça. Et Boyle est plutôt bon dans l'exercice, il sait être naturel au point que tout cela glisse parfaitement. On peut juste lui reprocher un petit coup de mou au coeur du roman, une longueur, sans doute volontaire.
Mais le final vaut cette attente. La scène nocturne de Ralph, le flic ripou, avec Antonina dans un diner est d'une belle intensité, dotée d'une vraie émotion. Le livre se referme avec le sentiment d'avoir assister à ue tranche de vie. Ni noir ni rose. Pas même grise. Juste une tranche de vie réaliste de Brooklyn. Entre Scorsese et Woody Allen, Boyle peint un New-York, des années 90 essentiellement, qui a sans doute disparu. Un New-York très humain, où la musique - seconde passion de l'auteur - rythme chaque minute de chaque heure de chaque jour.
La cité des marges (City of margins, trad. Simon Baril), ed. Gallmeister, 420 pages, 24 euros.