Littérature noire
3 Novembre 2021
Mince alors ! On attendait plus grand chose du polar dit scandinave depuis quelques années. La mine, surexploitée, paraissait vidée avec le seul Indridasson, résistant aux modes et à l'usure du temps. Et voilà que les éditions de La Martinière décident d'entrer dans la danse du roman noir avec cette collection baptisée Onyx. Et donc ce premier roman d'une série annoncée, Le serment, par Arttu Tuominen, ingénieur de tout juste quarante ans. Ce Finlandais n'a pas la prétention de révolutionner le genre, en revanche son classicisme est d'une rare précision. Non seulement il connaît les codes, il respecte la recette mais il donne bien sûr un supplément d'âme, fait de pluie glaçante, de neige, de jours déclinants et d'alcool quotidien.
Antti et Jari ont 13 ans. Ils vivent à Pori, leur dernier véritable été d'enfant. A la rentrée ce sera le collège, déjà autre chose. Atti est le costaud des deux. Ou plutôt celui qui ne craint pas les bagarres. Il vaut mieux parce que dans leur classe, Rami, redoublant, sème la terreur avec sa petite bande. Il adore s'attaquer aux plus faibles, comme Jari. Ce dernier est plutôt un enfant doux, qui aime la pêche, fumer des cigarettes avec Antti et puis aussi sa jeune soeur handicapée Tiina. C'est l'été 91, les deux amis, dans une sorte de pacte que font parfois les enfants décident d'enterrer un tube renfermant deux lettres écrites spécialement pour l'occasion et qu'ils promettent de n'ouvrir qu'en 2018, pour "voyager dans le temps". Cela, ils le font quelques jours avant que de terribles accidents ne surviennent dans leurs vies respectives. Violences, jalousies, misères sociales seront le cocktail d'un mois de juin qui les marquera au fer rouge.
Vingt-sept ans plus tard, en novembre 2018, Jari est commissaire intérimaire à la police judiciaire de Pori. Il apprend que dans un chalet, à l'occasion d'une beuverie de plusieurs jours, un homme a été poignardé à mort. Le suspect est en fuite. La victime est Rami. Le meurtrier présumé, vite interpellé, est Antti, devenu un SDF, alcoolique, paumé. Il n'avait plus entendu parler depuis ce fameux été 91. Tous les souvenirs douloureux, savamment enfouis par une vie familiale et une carrière confortables, ressurgissent. Jari se rappelle cette époque merveilleuse avant de devenir dramatique. Il se rappelle aussi qu'Antti était ce qui se rapprochait le plus d'un frère. Le subordonné de Jari, lui, n'a que faire de ces sentiments. Rigide, maniaque, il accumule les éléments pour confondre Antti et lui coller une inculpation en bonne et due forme. Mais Jari sait, malgré son éthique, qu'il doit faire quelque chose pour son vieil ami. Au nom d'une promesse.
Le talent de Arttu Tuominen, c'est bien celui de naviguer avec aisance entre deux époque, de mener en parallèle, et sans fausses notes, juin 1991 et novembre 2018. Une manipulation narrative que le lecteur accepte avec gourmandise tant l'auteur sait distiller les éléments de tension. Les trois personnages du roman jouent ainsi une forme de ballet, une chorégraphie, qui va, forcément, mener au pire. Reste à savoir ce qui s'est réellement passé il y a vingt-sept ans. Et pour cela, encore une fois sans forcément être d'une originalité folle (on pense parfois à Mystic River), Tuominen sait s'y prendre avec une belle minutie de détails, de personnages secondaires incarnés. Que ce soit la soeur de Jari, l'inspecteur Okcman, sa collègue Linda, le père de Rami, celui d'Antti... c'est ainsi toute une société finlandaise que l'auteur peint dans Le serment. Un monde assez brutal, pas forcément bienveillant avec les enfants, ni même avec les femmes. Au final, cela donne une formidable surprise !
Le serment (Verivelka, trad. Anne Colin du Terrail), ed. La Martinière, 430 pages, 22 euros.