Littérature noire
25 Novembre 2021
A Epinal, Michel Pachiana est sosie de Johnny. Et Denis Colnot, sosie de Gainsbourg. Le premier a gagné une Gibson dans un concours d'imitation. Il ne sait pas jouer mais c'est sa fierté. Et depuis les choses s'enveniment entre ces deux anciens amis. En juillet 2011, Pachiana et Colnot s'interpellent, se disputent et le faux Gainsbourg assène un coup de couteau de cuisine au faux Johnny. Pas mort, le Smet de contrebande, mais pas loin. Aux Assises, Colnot écope de deux ans.
C'est une des affaires de Rock'n'Roll Justice (allez oui, Johnny c'est un peu rock... il a repris Sweet home Alabama après tout !), mâlant la musique du diable et les prétoires. Cinquante-huit affaires répertoriées par Fabrice Epstein, avocat et chroniqueur de Rock & Folk. Un bon gros livre de 300 pages, joliment illustré, qui se picore. Chaque dossier faisant deux, trois ou quatre pages, le lecteur peut ainsi passer des Stones à Bob Dylan, Gary Glitter, Marvin Gaye, Judas Priest et bien sûr les Beatles.
Bien sûr parce qu'il est entre autres question, et c'est très intéressant en ces temps-ci, du blasphème de John Lennon qui disait, en 1966, dans une interview que : "le christianisme s'en ira. Il disparaîtra et et décroîtra. Je ne veux pas discuter de cela. J'ai raison et l'avenir le dira. Aujourd'hui nous sommes plus populaires que Jésus." L'affaire est connue mais Fabrice Epstein a le bon goût de rafraîchir nos mémoires avec la folie qui s'est emparée alors de certains Etats américains, en Alabama tiens donc, où l'on a organisé des bûchers de vinyles des Fab Four. Et l'auteur de rappeler que c'est en 2008 que l'Eglise a enfn pardonné publiquement à Lennon.
Une autre chronique, tout aussi instructive, revient sur le cas de Bertrand Cantat, avec minutie mais pas sans humanité, évoquant l'incarcération, la dette payée, la vindicte populaire, la haine.
Difficile d'évoquer un dossier plus qu'un autre, Fabrice Epstein met beaucoup de soin dans son écriture, ne se contente pas d'un style purement juridique, s'amuse parfois un peu, ironise aussi. S'il fallait évoquer une autre histoire, un rien oublié, il y a ces deux pages baptisées "qui se souvient de Caryl Chessman ?" A priori pas grand monde. C'est le talent de l'auteur de mettre en lumière ce condamné à mort dans l'Etat de Californie à la fin des années 40. Accusé de vols, de viols, il clame son innocence, invoquant des aveux arrachés en garde à vue. Dans la prison de San Quentin il croisera Merle Haggard, future star de la country, incarcéré pour vols. C'est au contact de Chessman que Haggard va, d'abord, organiser un concert de Johnny Cash derrière les murs, mais aussi entrer dans le droit chemin. Et faire carrière.
Fabrice Epstein montre à quel point le rock'n'roll plus que toute autre musique a éprouvé les règles de droit de mille manières, que ce soit sur le copyright, la responsabilité des paroles, les bonnes moeurs, l'exploitation des titres, leur usage politique. Ou dans le simple fait divers. Surtout, le chroniqueur de Rock'n'Folk prouve bien, comme l'affichait Woody Guthrie sur sa guitare, que le rock'n'roll (le vrai hein ! Pas Coldplay !) continue d'avoir un réel pouvoir.
Enfin, last but not least, en terme de droits, Fabrice Epstein s'interroge, pour conclure, surtout ce que doit cette musique aux noirs, aux noirs américains, à travers le blues, fondement, base, source de tout cela.
Rock'n'roll Justice, ed. La Manufacture de livres, 315 pages, 25 euros