Littérature noire
2 Décembre 2021
Cette année signe les trente ans de la publication en Angleterre, du Dirty week-end d'Helen Zahavi, roman devenu rapidement culte, d'abord par les critiques qu'il a essuyées mais avant tout par la qualité de son contenu. Et le texte n'a pas pas pris une ride, signifiant ainsi, et malheureusement, que la situation des violences aux femmes n'a guère bougé malgré les discours.
Voici donc Bella, on l'imagine à la petite trentaine. Elle n'est pas jolie mais elle n'est pas moche non plus : "ce n'est pas formidable d'être Bella. Pas de lit de roses. Pas de vie indolente. Aucune joie". Elle vit à Brighton, dans un sous-sol qui a tout de merdique, bouillant l'été, gelé l'hiver. C'est février justement. Et il y a un type dans l'immeuble voisin qui la mate depuis sa fenêtre. Puis qui lui téléphone, commence à être obscène et la traque jusqu'au parc, puis la menace de viol. A la faveur d'une séance de voyance, elle comprend qu'elle ne peut pas être spectatrice de ce qui lui arrive. Mais elle ne veut pas être non plus victime. Bella décide de crever son armure de vie morose et prend les rênes, contre toutes ces pourritures d'hommes. Pas tous les hommes mais les plus dégueulasses, les dangers pour elle. Pour ses semblables, "elle le matraqua de la part de toutes ses soeurs muettes." En deux jours, Bella va se transformer en vengeresse, en ange destructeur de la domination masculine.
Dirty week-end est un petit chef-d'oeuvre a plus d'un titre. D'abord, il renverse la table. Et ce en 1991 ! Il renverse la table parce que le lecteur a la plus grande sympathie pour cette Bella, somme toute psychopathe. Et il n'y a aucun malaise à accepter d'être à ses côtés. C'est ce qu'une député anglaise n'avait visiblement pas encaissé, demandant l'interdiction du roman. L'idée de l'auto-défense, mâtinée de provocation et surtout cette volonté de vengeance, violente, un peu sadique, vis à vis des hommes, voilà un concept qui en a bousculé certains. On retrouve d'ailleurs là ce qui faisait le sel du premier roman de Marie Neuser, Je tue les enfants français dans les jardins. Et il n'y a rien d'innocent dans le propos d'Helen Zahavi. Et sur son blog, elle demande à ceux qui la critiquent : " what's wrong, to be precise, with killing rapists ?" Parce que c'est de ça qu'il s'agit ici, de violeurs, de criminels, de vrais porcs. Au passage, la scène dans la chambre d'hôtel est l'un des trucs les plus drôles et les plus sauvages qu'il ait été donné à lire ces derniers temps.
D'accord, ce n'est pas très moral. Mais c'est très bien ainsi. Et, il ne faut pas l'oublier, c'est aussi fichtrement bien écrit. Zahavi y met son petit humour anglais et dépeint des hommes gras, stupides, des prédateurs, tellement sûrs d'eux... forcément puisqu'ils ont la force physique. Il y a toujours un petit décalage dans le ton, presque une légèreté qui affleure avec la gravité.
Détail ou pas, dans la scène des trois jeunes de la City aux prises avec une SDF, on pense à la scène du métro de The Joker. Il y a toutefois chez Zahavi un message qui, s'il est politique, reste un peu plus fin.
On retrouve aussi dans ses répétitions, ses mots différents pour décrire une même chose, un même sentiment, la prose - toute proportion gardée - d'un David Peace, une forme de violence placée sous différents angles. Une scansion qui ajoute bien sûr à la tension.
Sans oublier, une mise à distance capitale en interpellant le lecteur, " voici l'histoire de Bella... vous savez... essayez d'afficher un mépris glacé... vous trouvez ça drôle ? Ne riez pas trop fort..." Là, c'est une façon aussi de dire, de rappeler, que c'est une histoire, pas un authentique fait divers, pas une fiction qui se veut prémonitoire ou un appel au meurtre. Même si dans un entretien, l'auteure a bien précisé qu'elle a vécu, à Brighton, cette pression d'un voisin qui l'observait à la fenêtre (ici) et que c'est cette peur qui l'a amenée à s'interroger sur le rôle de la femme dans cette violence, comme cela lui a donné l'envie d'écrire.
Dirty week-end (trad. Jean Esch), ed. Libretto, 211 pages, 8, 90 euros