Littérature noire
13 Décembre 2021
L'inspecteur Colin Harpur n'est pas forcément très à l'aise. Il a infiltré son jeune agent Ray Street dans le gang de Cliff Jamieson, vieux parrain de la pègre britannique, également surnommé Vous-savez-qui. Ce caïd échappe depuis quelques années à la police anglaise, pourtant Harpur comme son supérieur, adjoint au chef, Desmond Iles, savent pertinement qu'il est impliqué dans le trafic de drogue et aussi le meurtre de plusieurs personnes dont un enfant de 14 ans. Ray Street s'est bien rapproché de Jamieson. Au point d'être devenu son amant. Mais lorsqu'une livraison de came est interrompue par un autre gang qui fauche la marchandise, les choses s'accélèrent. Vous-savez-qui ne veut pas se laisser faire et mitonne sa vengeance. Ray pense être de la battue, averti Harpur. Au dernier moment, Jamieson le laisse chez lui. Le policier sous couverture décide de profiter de la grande demeure du caïd avec une copine. Et pourquoi pas un peu de coke. Mais Jamieson revient plus tôt de son expédition...
Le cortège du souvenir est le troisième roman de la série Harpur & Iles. Paru au Royaume Uni en 1987 et publié dans l'hexagone en 2003. Rivages avait commencé par sortir Retour après la nuit, qui est en fait le 10e de la série, sur les conseils de John Harvey, considérant que c'était le meilleur. Puis, François Guérif a publié Lolita Man, le deuxième historiquement, avant de reprendre le fil chronologique avec Raid sur la ville et donc Le cortège du souvenir.
On retrouve dans celui-ci toute la richesse des Harpur & Iles. Un duo qui rivalise de bons mots, souvent sarcastiques, désabusés par la Justice et n'hésitant pas à truquer un peu les preuves quand un sale malfrat doit être confondu. Tous deux sont sincèrement des bons flics mais ils se sentent tellement démunis face à l'intelligence de ces voyous ou de leurs avocats. Le plus fou des deux est sans doute Desmond Iles, incapable de digérer qu'un caïd notoire puisse circuler librement quand il a encore du sang sur les mains. Dingue, il l'est assurément, comme lorsqu'il découvre le cadavre d'un flic puis, dans la discussion, confie à Harpur qu'il était il y a quelques minutes encore avec sa maîtresse, " c'était important que je trouve quelqu'un Col. J'avais peur d'être attiré par les petites filles. " Mais ce côté maniaco ne l'empêche pas d'être lucide et d'une terrible ironie avec ses supérieurs que ce soit le chef Lane ou Maurice Tobin, du comité de la police. Ces échanges-là, ces dialogues-là sont écrits avec une rare finesse, un humour british cinglant.
C'est aussi ce décalage qui fait la grandeur de la série de Bill James. Décalage que l'on retrouve même chez cette crapule de Cliff Jamieson quand il déclare par exemple "moi je ne permets pas que l'on coupe l'herbe ici, comme vous le voyez. C'est ma manière de soutenir Greenpeace. "
Même sur le couple, Bill James ne se montre pas très moral et c'est l'essence des Harpur & Iles, romans très documentés (ici une scène de tribunal parfaite) mais aussi très réalistes, très noirs, derrière une façade d'ironie. Chez cet auteur, il en va de l'amour, du couple, comme de la loi, parfois il faut prendre des chemins de traverse. Vraiment une série passionnante.
Le cortège du souvenir (Halo Parade, trad. Danièle et Pierre Bondil), ed. Rivages, 269 pages, 9 euros