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The killer inside me

Littérature noire

Les fainéants dans la vallée fertile : le bonheur de ne rien foutre

" Il éprouvait pour lui une sympathie instinctive, où se mêlaient la curiosité et la passion du sommeil. " Attention livre culte ! Les fainéants dans la vallée fertile, d'Albert Cossery, fait partie de ces romans dont les initiés parlent avec un sourire en coin, une petite lumière dans les yeux.
Dans une ville égyptienne, le vieux Hafez abrite dans sa maison ses trois fils. Galal l'aîné, que l'on soupçonne de pouvoir dormir un mois entier. Rafik, qui a renoncé au mariage pour pouvoir jouir tranquillement de son sommeil. Et Serag, le plus jeune, titillé par l'idée folle de trouver du travail ! " Tu veux travailler dans une usine ! C'est un jour noir pour ta mère ! " De la même façon, l'autre projet, le mariage du père, est durement combattu par les deux autres frères. Grosso modo, il est urgent de ne rien faire, de ne rien changer à l'espèce de béatitude dans laquelle baigne la famille.
Les fainéants dans la vallée fertile est d'une douce absurdité et pourrait se rapprocher, en bien plus drôle mais pas moins intelligent, de L'éloge de la lenteur, de Carl Honoré. Parce qu'Hafez et ses enfants sont des sortes de révolutionnaires, réfractaires au travail, allergiques à l'effort. Et leur philosophie de vie résonne joliment à l'heure où nos sociétés imposent à certains des doubles emplois pour boucler les fins de mois, où la compétition est omniprésente. Certes, cette famille possède un toit et un petit pécule pour vivre, se nourrir. Mais c'est tout. Pour le reste, ils vivent dans une crasse peu ragoûtante, changeant rarement de chemises de nuit, sans parler d'hygiène corporelle. Ils représentent une forme moderne d'Aergie, la déesse grecque de la paresse.
Même pour les questions de l'amour et du sexe, ces quatre-là éprouvent un brin de réticence. Serag se laisse bien séduire, il n'est pas insensible aux charmes de Hoda, mais c'est encore assez indéfini, flou, comme une émotion perturbatrice.
Le talent et le génie de Cossery est de faire tenir tout cela comme une forme de théâtre, à base de dialogues savoureux, de colères soudaines et très vite retombées, ou encore de larmes de désespoir (devant la volonté de Serag pour travailler). En 200 pages, l'auteur égyptien, écrivant en français, dessine un large sourire sur le visage de ce lecteur tout comme il l'amène à réfléchir profondément sur la place de l'Homme face au labeur. Enfin, il y a un style fou, une certaine virtuosité dès la scène d'ouverture, pourtant si peu conventionnelle avec, toujours, Serag qui observe une usine en construction - ou à l'abandon - et un enfant qui se démène pour tuer des oiseaux avec sa fronde. Quelques lignes et déjà presque tout le livre en condensé. Formidable.

Les fainéants dans la vallée fertile, ed. Joëlle Losfeld,  204 pages, 10, 65 euros
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