Littérature noire
31 Janvier 2022
On est en 2034 et la République populaire de Chine n'a pas abandonné l'idée de mettre un jour la main sur Taïwan (Taïpei, en mandarin). L'occasion est donc trop belle lorsqu'un destroyer américain, croisant dans la mer de Chine méridionale, vient porter secours à un chalutier chinois en flammes et, en le sauvant, découvre à bord tout un dispositif électronique ultra-sophistiqué. Pour Pékin, c'est une agression. Au même moment, un pilote US à bord 'un F35 fait un survol en furtif du territoire iranien. Soudain tous les instruments de l'avion sont hors-contrôle. Enfin, hors de son contrôle. La tension monte entre les deux puissances, En mer de Chine, là aussi, la flotte de destroyers américains perd complètement ses communications. Et, beaucoup plus au nord, un vieil officier iranien est agent de liaison sur un navire russe qui prévoit de sectionner les câbles internet sous-marins des Etats-Unis. Les dirigeants chinois comme américains ont la main sur le fameux bouton rouge.
2034 est une petite merveille tendue, tout en engrenages, en diplomatie, en porte-avions et en avions de chasse. Les auteurs Elliot Ackerman et l'amiral James Stavridis, d'abord, maîtrisent leur sujet. Normal, direz-vous mais le roman vient fracasser les cockpits de l'actualité : la semaine dernière, Moscou, annonçait ainsi une série d'opérations navales au sud de l'Irlande, en zone internationale... où passent les câbles de communication vers les Etats-Unis. Et lundi dernier, on apprenait également qu'un F35C, chasseur bombardier furtif avait raté son appontement sur un porte-avions en mer de Chine et finit dans l'eau.
Cela donc pour la formidable vision des auteurs. Mais ce n'est heureusement pas tout. En déployant cinq personnages clés, de la commodore de l'US Navy, au pilote de chasse tombé en Iran, en passant par un conseiller adjoint à la sécurité nationale des Etats-Unis, un ancien officier iranien des Gardiens de la Révolution et l'attaché militaire de l'ambassade de Chine à Washington, le duo d'auteurs couvre le plus large spectre diplomatique et militaire sans jamais se prendre les pieds dans la confusion, l'explication obscure. C'est aussi une des qualités du roman d'être d'une limpidité tragique, les éléments de provocation-réponse-surenchère, s'enchaînant avec une logique désespérante. Sans faire de cours de géopolitique, Ackerman et Stavidris imaginent un monde qui change de logiciel, où la puissance des missiles, le nombre de soldats n'est rien face à une cyber attaque massive. "On ne détruit pas une un technologie avec davantage de technologie. Mais en se passant de technologie. Ils vont aveugler l'éléphant et ensuite nous écraser" prophétise, la commodore Sarah Hunt.
2034 est aussi l'occasion de mettre en lumière, à la fois le jeu diplomatique de la Chine et la prétention des Etats-Unis, puissance vieillissante. Tous les personnages sont savamment dessinés, extrêmement ancrés dans leur patriotisme tout comme dans leurs doutes, leur peur, face à la menace nucléaire.
Les auteurs vont très loin dans ce scénario de crise sino-américaine. C'est tragique, effroyable mais jamais totalement irréelle. Et c'est c'est bien ce qui fait peur. Un roman qui touche autant à l'espionnage, la guerre, qu'à la géopolitique. 370 pages qui passent presque trop vite.
2034 (trad. Janique Jouyn de Laurens), ed. Gallmeister, 372 pages, 23, 80