Littérature noire
6 Janvier 2022
Chaque fois on se dit " tiens, encore un Pouy ! " Et chaque fois, en refermant le livre on se dit " bon sang, je boirais bien un godet avec lui. " Car l'infatigable auteur de La pêche aux anges ou La petite écuyère a cafté conserve cette plume drôle, excitée, un peu folle qui balance le lecteur habituel de romans noirs sur des chemins plus cahoteux. Lire un Pouy pendant une rentrée littéraire, c'est comme se mettre un vieux live des Ramones sur la platine, on sait ce qu'on va y trouver, on sait que ça va nous plaire et que ça va nous donner la banane.
Le Dogo d'En attendant Dogo, livraison à peine déballée à La Noire, est un trentenaire parisien, qui se rêve auteur mais se trouve toujours en retard à ses rendez-vous. D'où , pour ses amis En attendant Godot, devenu Dogo. Pour l'état civil il s'appelle Etienne. Et pour sa soeur, Simone, infirmière dans la capitale, c'est un disparu, depuis six mois. Pas un mot. Pas un soupçon de dépression. Envolé. La police s'est bien occupé du dossier. Quelques temps. Un détective aussi. Mais rien. Alors Simone part dans le sud italien qu'affectionnait Dogo. Niente. Elle retrouve une ancienne chérie. Pareil. Elle fouille le courrier du frère. Trouve l'adresse d'un éditeur dans les Hautes-Alpes. Elle s'y rend en blablacar (très très drôle cette scène) et découvre qu'Etienne va être publié. Tout cela, dans une France de chaos, avec panne d'électricité géante, paralysie des transports en commun, grandes surfaces quasi vides, province en pleine rébellion et élection présidentielle précipitée. Il y a même une troupe de marionnettistes lyonnais qui décide de jouer les Brigades rouges du pauvre...
" La France profonde était d'une profondeur insondable : dans la Sarthe, une distillerie du Mans, venait de concocter une eau-de-vie aux rillettes, "arômes délicats "..."
" Venise, la Sérénissime. Une cité pareille qui a dû résister, au temps, à la mer, aux Turcs, aux Génois, aux touristes, et beaucoup plus tard, à Philippe Sollers, se devait d'être bien gouvernée..."
" Le village était libre, mais quasiment fortifié. L'avenir était radieux, mais possiblement problématique. "
L'aventure de Simone est, on l'imagine bien, une façon de parler du monde comme il tourne. Mais Pouy n'a jamais été un grand moralisateur. Du moins, sans doute passé par mille et une utopies de sa jeunesse, il a du mal à croire que l'on puisse encore renverser la table de la société. Mais il ne montre surtout pas de mépris ou de supériorité devant les nouveaux rêveurs. C'était déjà le cas avec Ma ZAD, c'est encore le cas ici avec ces micro sociétés qui se constituent gentiment face au pouvoir centralisateur. L'auteur regarde cela d'un oeil intéressé, toujours blagueur évidemment, et plutôt bienveillant. Simone qui va à travers l'Italie et l'hexagone c'est un peu Zazie dans le métro. L'analogie avec Queneau est évidente, il y a une forme d'épopée ingénue, d'espoirs et d'espoirs déçus tout comme il y a une langue virevoltante. Au passage Jean-Bernard Pouy livre quelques sentiments sur la littérature, les influences des uns sur les autres, les filiations assumées ou pas. C'est malin sans être pesant. Pour être aussi bref que les 200 pages de ce roman rafraîchissant : En attendant Dogo, ça fait du bien.
En attendant Dogo, ed. La Noire, 200 pages, 18 euros