Littérature noire
15 Janvier 2022
C'est un plaisir d'accueillir tout à l'heure Hugues Pagan pour le lancement de la tournée promotionnelle du Carré des indigents (ed. Rivages). Pour vous, sur le continent, ce n'est pas grand chose mais en Corse, à Bastia, on n'a guère l'habitude de ce genre d'attention. La rencontre, organisée par la librairie Piuma Lesta et le brewpub A Malacella, se déroule à 17 h 30 du côté du théâtre. L'assiette y est bonne, la bière aussi et la discussion ne le sera pas moins. Pour l'occasion, Pagan vient accompagné de son éditrice historique, Jeanne Guyon. Comme on avait fait un beau papier avec l'auteur de Dernière station avant l'autoroute, en juin (pour Libri Mondi broie du noir, à Luri,) on s'est dit que ce serait cool de discuter avec madame Guyon.
Qu'est ce qui pousse Rivages à organiser cette première ici ?
Très simple : c'est le souhait de Pagan. L'an passé, il avait été invité par Sébastien Bonifay et Libri Mondi à Luri et avant d'y aller, comme il se déplace peu, il nous avait demandé notre avis. On lui avait dit, Fonce ! Et il est revenu enchanté, réellement, en promettant de lancer son prochain livre ici. Pour nous éditeur, cela ne représente pas un quelconque risque de sous médiatisation, d'abord parce que le livre semble bien lancé au regard des premiers chiffres. Ensuite parce que ce genre d'événements culturels, à Paris, il y en a tellement que vous ne savez jamais si cela va fonctionner. C'est donc une vraie aubaine et un plaisir de se déplacer à Bastia.
Que représente Pagan, dans le vaste catalogue de Rivages ?
C'est un immense écrivain. Tout simplement. Il écrit des polars parce que c'est son moyen mais c'est un grand avant tout. C'est devenu un ami de François Guérif et un membre de la famille Rivages.
Comment gérez-vous un auteur qui comme lui peut arrêter d'écrire des romans pendant 20 ans ?
Encore une fois, la politique de Françis Guérif c'était « laissez faire les auteurs, prenez des nouvelles, ne mettez pas de pression. » Donc les liens n'étaient pas rompus pendant cette période. Ils se téléphonaient d'ailleurs fréquemment avec François. Une fois que Pagan était de passage à Paris, on était allés boire un coup et il m'avait avoué travailler sur un nouveau roman dans une résidence bunkerisé, pour ultra riches. Finalement quand il est revenu en 2017 c'était avec Profil Perdu qui n'avait aucun rapport avec ce dont il m'avait parlé ! Et ça a marché. Tout comme le recueil de nouvelles suivant.
Les nouvelles, le public français y est peu sensible non ?
De manière générale c'est vrai. Et c'est difficile de savoir à quoi cela est dû. Peut-être parce que la forme y est plus libre que dans le roman. Les anglo-saxons ont eux une grosse culture de la nouvelle. Qui est aussi sans doute liée à la publication fréquente d'anthologies ou même la publication dans les journaux, les magazines. Moi je suis une fan ultime des nouvelles de Shirley Jackson. Et avec Pagan on partage aussi l'amour des nouvelles de Virginia Woolfe. Curieux de ne pas avoir plus de lecteurs de nouvelles car cela devrait convenir à notre époque où l'on n'a jamais le temps de rien faire...
Diriez-vous que le roman noir a la même vitalité qu'il y a vingt ans ?
Oui. On a des nouveaux auteurs vraiment passionnants, que ce soit Alan Parks ou Thomas Mullen. Des signatures qui viennent de tous horizons comme Hye Young Pyun, la Coréenne, qui, avec Le jardin, a franchi les 10 000 exemplaires vendus et cela n'arrive pas à tous! On a vu aussi le splendide L'eau rouge (Agullo) venir de Croatie. Télérama avait titré il y a quelques années « le polar est-il mort ? » J'ai du mal à le croire.
Qu'est-ce qui fait un bon polar pour Jeanne Guyon ?
Le style. Le style. Le style. Il faut une écriture. Et un auteur qui ait des choses à dire. Le principe que l'on répète souvent c'est de publier des livres que les lecteurs n'attendent pas.
Pour changer de sujet, quelles sont les nouvelles de James Ellroy ?
Il va bien. Nous publions en mai Panique générale, qui est en quelque sorte une suite à Extorsion paru il y a quatre ans. Avec toujours Fred Otash et les dessous pas très propres d'Hollywood. C'est son éditeur américain qui l'a invité à se lancer là-dedans. Certes c'est une fantaisie si on compare au reste de son oeuvre mais j'ai lu les premiers extraits traduits par Sophie Aslanides et la langue est toujours aussi jubilatoire. Et, à Rivages, on devrait également lire le synopsis, de 250-300 pages du tome 3 de sa nouvelle tétralogie, également au printemps.
Et le piquant gallois Bill James a-t-il une actualité ?
Je l'adore et j'aimerais beaucoup continuer de traduire ses romans inédits. Malheureusement les derniers romans que nous avons publiés n'ont pas fonctionné comme nous l'espérions. Sa série Harpur & Isles est mordante. C'est noir. Mais avec cet humour incroyable. Et je suis une admiratrice de son roman Lettres de Carthage, roman épistolaire brillant, un exercice de style rare.