17 Janvier 2022
7 sur l'échelle de Richter des textes qui bastonnent ! L'apparence du vivant (ed. Inculte), premier roman de Charlotte Bourlard est aussi dérangeant que brillant. Aussi touchant qu'extrême.
A Liège, une jeune photographe passe une annonce pour trouver des personnes âgées qui acceptent de poser nus (bon, déjà...). Madame Martin y répond. Elle vit dans le funérarium familial, désormais fermé. Une grande et ancien bâtisse sur plusieurs étages, dans un quartier en chantier, entre un exhibitionniste, un clochard purulent et des cygnes qui pataugent dans la Meuse toute proche. Et Monsieur Martin ? Eh bien, il repose sagement sur le lit conjugal, à l'étage. Empaillé ! Car madame Martin est une experte en taxidermie et ne pouvait se résoudre à perdre complètement son cher mari. Elle propose à la photographe, marquée par une rude enfance, de loger à la maison, en échange de la transmission de son art. Et deux ou trois promenades en fauteuil roulant. Ou en brouette. La demoiselle est enchantée. Bien évidemment, pour apprendre la taxidermie, des sujets sont indispensables. Et tant pis s'il faut, d'abord, les attraper vivants.
Coeurs sensibles, accrochez vous, car la lecture de L'apparence du vivant, si elle fouette les sangs, n'en est pas moins profonde. Dans un texte provocateur, parfois trash, souvent fou, il est question d'amour et de mort. Comme souvent. Mais ici, avec un parti pris extrême, celui d'une personne âgée un soupçon psycho, qui entretient toutefois une relation d'une rare tendresse avec sa jeune élève. Pas moins instable. Les deux femmes se comprennent, se sourient, s'aident en fait. Et se rejoignent dans leurs désirs. Dans une société extérieure pas franchement californienne ("elle pointe du doigt les gueules blafardes, le tox en train de se piquer au fond du bus. Elle veut que je regarde la laideur des êtres qui manquent de volonté"), elles se construisent un projet, morbide il est vrai mais qui, paradoxalement, célèbre la vie. C'est le talent de Charlotte Bourlard de faire douter le lecteur sur ses sentiments vis-à-vis de ses protagonistes. Peut-on les aimer ? Doit-on les détester ?
Le roman est crû, la prose est sèche, rythmée. Comme un shot d'eau de vie à 60°, L'apparence du vivant nettoie les bronches, décongestionne les synapses et donne de belles couleurs à cette rentrée de janvier. Vive la taxidermie !
L'apparence du vivant, ed. Inculte, 130 pages, 13,70 euros